Odile Nacibide revient sur son parcours, les opportunités de France Relance et son attachement inconditionnel à la Guadeloupe et la Martinique.

Depuis 1994 et votre premier poste à la ville de Paris, vous n’avez cessé de poursuivre vos études et passer des concours… Pouvez-vous retracer les grandes étapes de votre parcours ? 

Je n’ai jamais cessé de me former pour évoluer, parce que, j’ai décidé très tôt de prendre ma vie et ma carrière en main, sans laisser les autres décider à ma place, décider de mon destin ou de la place que j’occuperai dans la société. Mon quartier, ma famille, ma condition sociale ne devaient en aucun cas déterminer ma destinée. J’ai estimé que je n’étais ni plus bête, ni meilleure que les autres. J’ai écouté les bons conseillers et j’ai progressé en saisissant les opportunités offertes par la fonction publique, ce qui m’a permis de gravir les échelons, marche après marche, avec détermination et endurance. 

Nous avons la chance d’être dans un pays qui nous offre la possibilité à tout moment de sa vie de revenir dans le circuit de l’apprentissage, de la formation, voire la reprise des études universitaires. 

« Un dispositif permettant aux fonctionnaires antillais d’évoluer sans être forcés de partir dans l’hexagone serait un atout majeur pour susciter des vocations ultramarines dans la haute fonction publique. »

Jusqu’au mois de février, vous étiez « administratrice civile ». En quoi consiste concrètement cette fonction ? 

Je suis une administratrice civile détachée dans le corps des sous-préfets, cela souligne surtout que dans le cadre du déroulé de carrière dans la fonction publique, il est possible de donner du rebond ou du piment à sa carrière en prenant des passerelles. La fonction publique offre cette possibilité de rendre attractive la carrière. Pour cela, il faut d’une part se former, d’autre part, prendre connaissance de tout ce champ du possible et ne pas avoir peur de la mobilité. 

Je précise que l’administratrice civile que je suis est avant tout un fonctionnaire qui a évolué en prenant des risques en termes de choix de poste et de mobilité géographique, pour atteindre ce niveau de grade supérieur qui me permet aujourd’hui d’occuper des postes à responsabilités comme celui de sous-préfète à la relance. Je n’imagine même pas que l’on puisse atteindre ce niveau de grade d’administrateur ou autre sans être sortis de son périmètre ou de sa zone de confort. 

Je suis devenue administratrice civile par le TEAC (Tour Extérieur des Administrateurs civils) : qui est une sélection par la voie de la promotion interne, prévu par le décret n° 2010-591 du 2 juin 2010 modifiant le décret n° 99-945 du 16 novembre 1999 portant statut particulier du corps des administrateurs civils. Il est ouvert à tous les fonctionnaires de l’État de catégorie A et aux fonctionnaires et agents en fonction dans une organisation internationale intergouvernementale occupant un emploi de catégorie A ou assimilé. 

Trop souvent aux Antilles, les fonctionnaires restent cantonner à leur poste, probablement en raison de la peur de l’inconnu ou de la prise de risque. Un dispositif leur permettant d’évoluer sans être forcés de partir dans l’hexagone serait un atout majeur pour susciter des vocations ultramarines dans la haute fonction publique. 

Odile Nacibide, sous-préfète à la relance

En quoi consiste aujourd’hui votre mission en tant que sous-préfète à la relance Martinique ? 

S’agissant du poste de sous-préfète à la relance, ce n’est pas un poste traditionnel comme pour les sous-préfets d’arrondissement. C’est un nouveau poste de mission qui a été créé afin d’accompagner la mise en œuvre du plan de relance sur les territoires. En Martinique, il se construit chaque jour, car la mission réclame une grande disponibilité et consomme beaucoup d’énergie car tout est à construire. 

C’est un super poste qui nécessite tout de même un temps d’appropriation à ne pas négliger. Je suis souvent sollicitée, mais, je crois, par expérience, qu’il est très important ne pas négliger ce temps d’appropriation des sujets. Le monde ne s’est pas construit en un jour. 

« Je suis chargée de la déclinaison de l’accord de relance territorial qui a été signé entre Monsieur le préfet et le président de la CTM le 11 février 2021. »

En tant que sous-préfète, je suis placée sous l’autorité de Monsieur le préfet de la Martinique pour la Martinique, c’est mon autorité hiérarchique, la relation de confiance est essentielle, ainsi qu’avec les autres membres du corps préfectoral et les chefs des services. Je suis chargée de la déclinaison de l’accord de relance territorial qui a été signé entre Monsieur le préfet et le président de la CTM le 11 février 2021. Il comprend 3 axes (écologie, compétitivité et cohésion sociale), déclinés en 11 chantiers prioritaires (eau et assainissement, mobilités vertes, transition agricole et maritime, tourisme et culture, formation professionnelle, emploi, insertion, lutte contre la précarité, la santé…).

Toutes les aides du plan de relance ne sont localisées. Il existe d’autres mesures portées par le niveau national, telles que les mesures guichets qui peuvent toucher l’ensemble des citoyens de la Martinique.

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18 mois après le début de la crise Covid-19 quelle est votre appréciation de la situation ?

L’aide de l’État en faveur de nos territoires a été considérable : par exemple, dans le cadre de France Relance, « l’activité partielle », dispositif qui permet à l’employeur de bénéficier d’une allocation de l’État en contrepartie d’une indemnisation des heures dites chômées versées à ses salariés et qui a aussi permis dans les secteurs fragilisés par la crise sanitaire de passer le cap difficile sans recours au licenciement, l’effort de l’État pour la Martinique s’élève au 4 juin 2021, à 125 millions d’euros, 11 000 demandes d’aides. 

Toutefois, la crise a aussi révélé des faiblesses et des opportunités. L’adéquation de l’action publique aux réalités locales dans les domaines de l’environnement, la pêche, l’agriculture, le sport, le logement, le transport ou encore l’énergie, jusqu’à l’éducation est nécessaire. La conjoncture actuelle est favorable pour à la fois renforcer et développer des projets alimentaires de territoires par exemple, pour valoriser les productions locales et générer des emplois stables. 

« L’adéquation de l’action publique aux réalités locales dans de nombreux domaines est nécessaire. »

Par ailleurs, étant sensible au lien, je souligne que la crise sanitaire a beaucoup pointé l’importance du lien social intergénérationnel, « prendre soins des uns et des autres ». Des jeunes et de nos aînés. La force d’un pays ne se résume pas seulement à sa capacité financière, mais encore plus aux valeurs communes portées par le peuple, l’amour, la fraternité, la liberté, l’égalité la solidarité. 

Les alertes sont là, en particulier les souffrances de nos jeunes sont palpables. Pour autant, je dis qu’il appartient à chacun de nous, là où nous sommes de rebondir et ne pas se laisser aller, ne pas laisser mourir « l’espoir ». La vie est parfois un recommencement, ce sont nos efforts conjugués qui construiront nos succès, pour nous, pour l’autre et pour notre pays, pour la Guadeloupe et la Martinique. 

Justement, pouvez-vous nous détailler le contenu et les temps forts du plan France relance pour la Martinique et la Guadeloupe ? 

Un Accord Territorial de Relance 2021 -2022, pour la refondation de la Martinique, qui a été signé entre l’État et la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM). La CTM a apporté une contribution de 198 millions d’euros aux côtés des 176 millions d’euros mobilisés par l’État, portant l’accord de relance État-Région à 374 millions d’euros.

Notre territoire bénéficie également, d’autres mesures France Relance qui ne sont pas comprises dans le mandat, telles que la baisse des impôts de production. Celle-ci, une mesure phare de France Relance, vise à alléger, de manière pérenne, les impôts de production des entreprises afin de renforcer leur compétitivité et l’attractivité du territoire. 

  • Volet Compétitivité

France Relance renforce la compétitivité du territoire avec une baisse des impôts de production de 29,3 millions d’euros qui bénéficient à 3 266 entreprises martiniquaises. 

  • Volet écologie

France Relance c’est 9,4 millions d’euros mobilisés pour la rénovation énergétique des bâtiments de l’État en Martinique. La démarche envisagée est une opportunité pour améliorer la performance énergétique du parc domanial tout en soutenant la reprise de l’activité pour le secteur du bâtiment et des travaux publics. 

  • Volet Cohésion

Plus de 1,1 million d’euros du plan France Relance en Martinique destinés à financer des projets locaux visant la prévention et la lutte contre la pauvreté. Le plan de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté permet de financer les projets des associations et de leur permettre de toujours mieux répondre aux urgences sociales.

En Martinique, 13 projets ont été sélectionnés par l’État en partenariat avec la collectivité territoriale de Martinique et la caisse d’allocations familiales, et concernent la lutte contre la précarité alimentaire, l’accès aux droits et l’insertion sociale et professionnelle, le soutien à la parentalité, ou bien la lutte contre l’isolement des personnes âgées. 

  • Lycées

Dans le cadre de l’appel à projets internats d’excellence, trois lycées martiniquais retenus pour leurs projets pour un montant total Etat-CTM près de 4,5 millions d’euros. 

  • Numérique

Dans le cadre du Plan de relance, l’Agence nationale de la cohésion des territoires accompagne le déploiement de 39 conseillers numériques en Martinique. 20 collectivités publiques et 5 structures privées bénéficieront de ce dispositif qui vient renforcer les initiatives d’inclusion numérique existant sur le territoire. Dans cette 1ère vague du déploiement du dispositif, l’effort financier de l’État en faveur de l’inclusion numérique s’élève à 2,5 millions d’euros. 

Je veux aussi ajouter même si la liste est déjà longue que dans le cadre du plan séisme aux Antilles, des centres hospitaliers seront étendus et reconstruits pour 16,3 M€, ainsi que 24 bâtiments publics utiles en temps de gestion de crise 

L’équipe relance en Martinique ne sommeille pas. 

« La force d’un pays ne se résume pas seulement à sa capacité financière, mais encore plus aux valeurs communes portées par le peuple, l’amour, la fraternité, la liberté, l’égalité la solidarité. »

Quel va être son principal effet sur l’économie et sur la société ? Quand verra-t- on ces effets ? 

Les effets viendront aussi bien en ce qui concerne la reprise des activités économiques, l’accès à l’emploi et à la formation des jeunes en particulier, que le développement des productions locales… Ce qui est important de voir c’est que ce pays n’a pas abandonné ses territoires, mon poste de sous-préfète à la relance en est l’exemple même. Il a été créé pour accompagner la mise en œuvre du plan France Relance dans les territoires et renforcer l’État déconcentré, au plus près des élus, des entreprises et des citoyens. Les sous-préfets à la relance donnent de la visibilité à l’action de l’État dans nos îles.

Toutefois, pour que les effets soient plus rapidement visibles notamment en ce qui concerne la reprise des activités touristiques, l’effort de vaccination devra se poursuivre et s’accentuer. Il appartient à chacun de contribuer à cet effort national, la vaccination est aussi un activateur de la relance. 

Odile Nacibide

A quoi ressemble la journée de travail type de la sous-préfète à la relance en Guadeloupe et Martinique ? 

Je suis debout à 6h et je me couche vers 23h00. Les journées sont très très denses et tentaculaires.

La journée du lundi par exemple : 

  • 8h30 réunion du corps préfectoral
  • 9h30 réunion équipe relance
  • 11h comité de direction
  • 13h déjeuner de travail à la résidence préfectorale
  • 14h30 point agenda avec le secrétariat et consultation des mails et dossiers
  • 16h comité d’administration régionale (CAR)
  • 18h respiration 10 minutes,
  • 18h15 consultation des mails et des dossiers
  • 21h30 souper
  • 22h connexion en mode distanciel, consultation de ma messagerie
  • 22h30 préparation du coucher, je lève les yeux au Ciel…
  • 23h coucher

Si à 20 ans, on vous avait dit que vous alliez devenir Énarque et que vous reviendriez travailler en Guadeloupe et Martinique vous l’auriez cru ? 

Non, je ne l’aurais pas cru. A 20 ans, je n’avais pas idée de tout cela, je croyais au prince charmant et donc je l’attendais naïvement mon « Denzel »… 

Par contre, très tôt, j’ai compris que l’on ne pouvait pas vivre égoïstement, que pour soi, et que le partage était fondamental. J’ai retenu deux choses de mes parents : « les fainéants ne mangent pas » et « on ne vole pas pour vivre ». Du coup, je porte en moi, la valeur du travail.

Je suis fière de mon parcours et j’espère que mes parents au Ciel sont contents de leur fille rebelle. Merci la vie, même si tout n’est pas parfait, merci. 

« Quel que soit le choix professionnel, il est important d’aller jusqu’au bout et chercher le meilleur dans sa voie. »

Que diriez-vous aux jeunes guadeloupéens et aux jeunes martiniquais qui entament leur vie universitaire ou leur vie professionnelle ? 

S’agissant de cette question, j’enlève ma casquette de fonctionnaire et de sous-préfète, pour dire aux jeunes avec émotion : Jeunesse ! Écoute ! Prends conseils, et sois Sage. « Écoute l’instruction de ton père et ne méprise pas l’enseignement de ta mère, quand ils seront vieux, continue à les aimer avec patience et douceur. Ne méprise pas l’éducation de tes instructeurs. Ne choisis pas la paresse, car à trop rester les bras croisés, viendra l’indigence. » Quel que soit ton choix professionnel, quelle que soit ta voie, cherche le meilleur et n’aie pas peur ! Il y a un don qui dépasse l’instruction, c’est « l’intelligence », si tu le possèdes, ne laisse personne te dire que tu es un « couillon ». 

Nous ne serons pas tous médecins, ni énarque, ni agriculteur, ni pâtissier. Mais quel que soit le choix professionnel, il est important d’aller jusqu’au bout et chercher le meilleur dans sa voie. « Tout est possible à celui qui croit ».

D’ailleurs, à ceux qui cherchent un emploi, je vous invite à un grand rendez-vous : le 1er salon de recrutement pour favoriser l’emploi en Martinique. C’est un évènement pôle emploi Martinique en partenariat avec le Medef, la CCIM, la CPME, l’AMPI, la CMA, la FTPE, France Relance, contact-entreprises et GBH. Ce rendez-vous donnera de la visibilité aux opportunités professionnelles du territoire de la Martinique en termes d’offres d’emploi. 

Salon en ligne : du 23 septembre au 5 octobre, Salon présentiel : 30 septembre au 1er octobre. Plus d’infos sur www.martiniquepourlemploi.mq/fr/

« Le retour au péyi » est source de beaucoup d’attention et parfois d’un brin de romantisme de la part des commentateurs, qu’en est-il pour vous, qu’est-ce que cela représente d’avoir été nommée sur ces 2 territoires ? 

« Je suis née dans une île amoureuse du vent où l’air a des odeurs de sucre et de vanille (D.Thaly) ». C’est une fierté, je suis contente de résider en Martinique, sans renier mes origines guadeloupéennes. C’est une très belle aventure professionnelle. 

Le seul bémol est que mon emploi du temps me laisse peu de temps pour écouter mon artiste préféré Patrick Saint-Eloi, le meilleur parolier de tous les temps. La fonction est exigeante et les sollicitations sont très nombreuses. 

« D’habitude, à peine arrivée sur un poste, je pense au prochain. Or, là je n’y pense pas, parce que, je veux vraiment réussir pour les Martiniquais et les Guadeloupéens. »

On parle de « retour au péyi », mais il ne sera sans doute pas définitif, vous ferez l’objet d’autres nominations au cours des prochaines années ou vous pourrez rester ? 

D’autres nominations dites-vous ? Présentement, je n’ai pas de réponse. Derrière mon sourire se cache une personnalité déroutante, empreinte d’une vraie sensibilité humaine. Donc, je ne sais pas. D’habitude, à peine arrivée sur un poste, je pense au prochain. Or, là je n’y pense pas, parce que, je veux vraiment réussir pour les Martiniquais et les Guadeloupéens. Je ne suis pas là pour moi, mais pour eux, pour vous. Pour l’instant, je suis un peu comme l’argile entre les mains du potier, je me laisse façonner par cette nouvelle expérience. Ensuite, on verra ce qui se passera… 

Je veux conclure par ces mots : Martinique- Guadeloupe- France, je vous aime !

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