Engagement. Identité : Jeffrey Bernus. Compétence : spécialiste en écologie marine. Le jeune homme qui a grandi en Martinique réussit, avec Caribbean Cetacean Society, à mobiliser des hommes et des femmes à travers toute la Caraïbe pour la cause des cétacés. Rencontre. – Texte Yva Gelin

Saviez-vous que nos îles sont riches de cétacés qui vivent, se nourrissent et se reproduisent à quelques centaines de mètres de nos maisons et nos rivages ? En tout, 33 espèces de ces mammifères (qui vivent en mer mais doivent respirer l’air à la surface) circulent dans les eaux de la Caraïbe, soit plus du tiers de la diversité mondiale. Une biodiversité qui n’est pas sans effet sur le climat, car les cétacés sont très utiles dans l’absorption de CO2. Une baleine, à titre d’exemple, peut en absorber jusqu’à 33 tonnes par an, comparé à un arbre qui en absorbe, lui, maximum 21 kilos sur une année*.

Notre coup de cœur du mois est ainsi un jeune biologiste qui a donné naissance, il y a moins d’un an, à la Caribbean Cetacean Society (CCS), première association de protection des cétacés à l’échelle caribéenne.

Corail, requin, baleine

D’allure simple, entre un marin et un scientifique, Jeffrey Bernus n’est pas vraiment à l’aise avec le principe de l’interview, mais passionné par son activité, il se prête à l’exercice consciencieusement. En quelques mots, son rôle dans le cadre de la CCS le mène à « récolter des informations sur le terrain et les diffuser aux différents acteurs compétents afin que les réglementations de protection des cétacés dans la Caraïbe soient pertinentes et cohérentes entres elles ».

Côté parcours, il arrive en Martinique à un mois, où il grandit et devient le témoin malgré lui de la dégradation des fonds marins. Simplement curieux au départ, Jeffrey se forme en biologie écologie marine et devient le premier français à rejoindre l’équipe de recherche des requins et raies d’un célèbre institut de recherche aux Bahamas. Il atterrit ensuite en Australie où il intègre l’un des plus grands instituts de biologie marine du monde. Il travaille notamment à l’impact du changement climatique sur la distribution de la vie marine. Puis, le jeune passionné poursuit en Guadeloupe où il effectue diverses missions scientifiques avec le Parc National, notamment différents projets sur les mammifères marins. Des projets en amenant de nouveaux, il finit par se spécialiser dans l’étude des cétacés en devenant le coordinateur scientifique d’un projet européen de conservation des cétacés dans la région Caraïbe.

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Caribbean Cetacean Society

« J’ai monté l’association avec Laura Pittino, également scientifique en écologie marine. C’est un travail de passionnés, très prenant et bien plus difficile qu’on ne le pense, mais je ne me vois pas faire autre chose », décrit-il. Pour sa première mission, « Ti Whale an Nou 2021 », la Caribbean Cetacean Society est partie étudier les cachalots. « Il s’agit aujourd’hui de la plus grande expédition sur les cétacés de la Caraïbe. »

« Une fois les données récoltées, les résultats sont transmis aux différents acteurs ayant la compétence d’agir sur des aires marines à protéger dans les différentes îles. »

Les derniers 411 individus estimés de l’espèce sont particulièrement menacés car il existe différents clans (avec des langages et des cultures différentes) qui ne se mélangent pas, et le cycle de reproduction, quelque peu laborieux, comprend une période de gestation de 14 à 16 mois. De plus, seulement un tiers des petits survivent aux deux premières années après la naissance. « Le but est donc de comprendre comment les cachalots évoluent dans nos eaux. Une fois les données récoltées, explique le co-fondateur de la CCS, les résultats sont transmis aux différents acteurs ayant la compétence d’agir sur des aires marines à protéger dans les différentes îles. Une mère cachalot peut par exemple perdre le contact avec son bébé une fois dans les profondeurs parce qu’un porte-conteneur est à proximité et qu’ils ne s’entendent plus. Nous-mêmes avons perdu toute trace acoustique d’une famille qui était à proximité lorsque qu’un navire de la marine était à 5 km de notre bateau de recherche ».

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L’importance de la coopération

Le scientifique explique l’importance d’une action commune car il n’y a, pour lui, aucune cohérence à agir seul. « Les espèces que nous protégeons ne peuvent pas reconnaître les frontières que nous avons inventées et circulent librement d’une île à l’autre. De plus, ce sont nos actions humaines qui les menacent. La CCS se place comme l’outil de coordination et de coopération qu’il manquait aux différents gouvernements pour les aider à respecter leurs engagements de préservation des cétacés dans la région Caraïbe. »

« La CCS se place comme l’outil de coordination et de coopération qu’il manquait aux différents gouvernements pour les aider à respecter leurs engagements de préservation des cétacés dans la région Caraïbe. »

L’action portée par la Caribbean Cetacean Society est partie de la Martinique, s’étend jusqu’aux Bermudes pour redescendre jusqu’à Bonaire et mobilise également des scientifiques et passionnés au Golfe du Mexique. Plusieurs dizaines de personnes sont impliquées, chacun agit à son échelle. « Certains vont simplement aider à l’identification d’espèces, d’autres participent à la mission ou analysent les données, s’occupent de relayer des informations… »

La « coopération », mot clef de tout ce projet, prend forme et inclut des acteurs tels que Corail Caraïbes, entreprise locale qui fournit le navire de recherche pour les missions, la WWF néerlandaise, la fondation EDF, Orange, la DNCA (Dutch Caribbean Nature Alliance), la SARA, le Parc Naturel Régional de la Martinique ou encore la Animal Welfare Institute (AWI). « Il y a un vrai fossé à combler. Les gens ne savent même pas à quel point nos côtes sont vivantes. J’espère que nous pourrons faire prendre conscience aux Antillais des richesses de notre patrimoine. »

*Selon une étude réalisée par le Fond Monétaire International en collaboration avec la Great Whale Conservancy.

Jeffrey Bernus
jeffrey.bernus@ccs-ngo.com
0696 79 77 99 
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