Les intrapreneurs, ça vous dit quelque chose ? Dans nos territoires, ce sont souvent des personnes discrètes, un peu déçues de la lourdeur de l’organisme (qu’il soit public ou privé) pour lequel ils ou elles travaillent et qui ne demandent qu’à faire exploser leur créativité, au bénéfice de leur employeur. (Texte Amandine Ascensio)

Ils sont souvent jeunes, motivés, débordent d’énergie, mais surtout d’idées pour améliorer les process, les produits, à l’intérieur de leur entreprise, ou parfois aussi, pour eux. On les appelle des “Intrapreneurs” : ils sont celles et ceux qui entreprennent à l’intérieur de leur société, dans le cadre de leur emploi. Et souvent, alors que les dirigeants et dirigeantes d’entreprises vantent les mérites de l’entrepreneuriat, quand il s’agit de leurs salariés, c’est la méfiance qui s’impose, voire la brimade, renvoyant le potentiel créatif de leurs agents dans le rang des simples exécutants. “J’ai fini par quitter mon entreprise, alors qu’ il y avait des possibilités énormes de développement à moindre coût avec des retombées qui auraient pu être intéressantes”, soupire Stéphanie (le prénom a été changée), salariée d’une entreprise de média en Martinique, où elle avait le sentiment “de ne plus évoluer et d’avoir fait le tour de la question” : “La réticence au changement vers des pratiques plus modernes, pour moi, ça n’était plus possible”.

Un management antillo-guyanais qui ne se remet pas en question ?

Pourtant, certaines fois, les changements managériaux sont forcés : la Covid-19 et les confinements successifs ont heurté les modes de travail, obligeant les entreprises à se tourner vers des pratiques que parfois, les salariés demandaient depuis des années : le télétravail. Une pratique qui reste encore parfois taboue et mal vue aux Antilles-Guyane, aux dires de nombreux salariés et chefs de services. Alors, ici comme ailleurs, nombreux sont ceux qui songent à changer d’emploi, de vie, à partir, ou pire, à ne pas revenir, rester dans des pays ou des entreprises, hors de nos départements, et où les relations managériales sont un peu plus détendues, plus modernes, un peu moins formelles. 

“Les intrapreneurs, souvent, sont des personnes qui n’ont que faire de la verticalité des relations hiérarchiques. Dans nos territoires, ça ne passe pas toujours.”

“Il est difficile de faire comprendre à la hiérarchie que laisser un salarié entreprendre ou mener un projet au sein même de la boîte, alors même que ça sort des clous de la fonction de cette personne, ne nuira pas à la loyauté de l’entreprise”, constate un chef de service d’une grosse entreprise de télécommunication des Antilles-Guyane, qui souhaite conserver l’anonymat. “Et puis les intrapreneurs, souvent, sont des personnes qui n’ont que faire de la verticalité des relations hiérarchiques et qui parlent d’égal à égal avec leur manager. Dans nos territoires, ça ne passe pas toujours”

À cela s’ajoute l’absence de questionnement autour des pratiques managériales en vigueur dans nos entreprises. Par exemple, au sein des instances patronales de la Guadeloupe, pas de commission ni de groupe de réflexion qui vienne donner du grain à moudre sur ces sujets, réduisant de fait le dialogue social aux relations salariés/syndicats – patrons et aux questions légales. Et si l’on demande si la notion d’intrapreneur est connue ou à l’étude, la réponse est assez claire : “non”

“Parfois on rencontre une résistance, mais la conduite du changement ça se fait avec beaucoup de pédagogie et d’énergie et surtout ça se fait en équipe.”

L’intrapreneuriat, un cercle vertueux

Et c’est regrettable. Selon les spécialistes du management, l’intrapreuneuriat a beaucoup d’avantages : il permet à l’entreprise de se dynamiser, il permet au salarié de ne pas tomber dans une routine, d’avoir un sentiment de liberté, de retrouver du sens à son travail, une notion dont toutes les enquêtes d’opinions montrent l’importance pour les travailleurs. “Lorsque je suis entrée chez Danone, en Guadeloupe, j’étais une simple opératrice”, raconte, enthousiaste, Sarah Moulla-Gete, ingénieure en analyse économique, qui a intégré l’antenne locale à un poste très en deçà de ses compétences initiales. Mais petit à petit, la dynamique salariée a fait changer certaines pratiques dans l’entreprise : numérisation pour une plus grande efficacité, réduction des déchets, optimisation de process en tout genre, etc. “Parfois on rencontre une résistance, mais la conduite du changement ça se fait avec beaucoup de pédagogie et d’énergie et surtout ça se fait en équipe”. “Et parfois”, sourit-elle, “ça déborde même du cadre de l’entreprise : quand on a mis en place le tri et la réduction des déchets, plusieurs personnes ont mis tout ça en pratique chez eux, allant même jusqu’à créer un compost. Et dans les conversations entre collègues, on finissait par s’échanger des bons plans pour consommer local et le plus écolo possible”

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“Multiplier les projets en mode entrepreneurial”

À Sainte-Anne, en Guadeloupe la base nautique aurait pu être un “simple” lieu d’accueil et de pratique des activité nautiques. Mais, “on a voulu développer ça, pour en faire quelque chose de plus”, raconte Tristan Algret, windsurfer qui a tutoyé les podium mondiaux et qui fait partie de l’association Anasa qui gère la base nautique régionale. L’association aurait pu se contenter d’être une caisse enregistreuse des inscriptions et de faire vivre un club, mais “l’idée, c’est de développer les projets coûte que coûte, pour faire vivre le lieu, l’association et surtout le nautisme”. Et c’est ainsi qu’à l’étage du bâtiment est né le Club House : un espace cosy où on mange, où on se rafraîchit, où on travaille, un véritable tiers-lieux du nautisme pour les adhérents de l’association. “Mais ce n’est pas tout, on participe aussi aux événements locaux : par exemple, on monte un village de la Route du Rhum à Sainte-Anne avec nos partenaires, on participe au Traditour, etc.”

Créer un cadre pour vos intrapreneurs

Alors si vous avez de tels talents dans vos services, comment ne pas les laisser s’échapper ? En créant les conditions de leur épanouissement au sein de l’entreprise. “Lorsque je tenais Le Spot, qui était calibré pour booster l’entrepreneuriat, j’ai remarqué que de nombreux salariés fréquentaient le coworking”, raconte Jordan Succar, fondateur du premier espace de Coworking de la Guadeloupe. “C’était souvent des gens qui venaient se frotter aux entrepreneurs de notre écosystème, qui avaient besoin d’un nouveau souffle dans leur activité quotidienne”, souligne-t-il. “Mais parfois”, explique-t-il encore, “ces personnes avaient de nombreuses idées mais manquaient d’outils pour les mettre en pratique. C’est notamment le cas des outils numériques, comme les solutions NoCode, ou d’automatisation”, détaille le jeune homme, qui a mis au point des formations à ces outils pour favoriser la montée en compétences des intrapreneurs : “on n’est plus à l’époque des “rois du PowerPoint”, on a désormais des outils plus efficaces”. Régulièrement, il propose des formations pour ceux qu’il appelle “les Infiltrés”. “La prochaine, c’est en octobre, on fait une session “Debouya”, et on va chercher ce qui se fait de bien ou bon ailleurs pour l’appliquer ici, de manière adaptée à nos spécificités locales, notamment la taille de nos entreprises”, explique-t-il. 

Depuis une vingtaine d’années, les industriels de l’Hexagone aménagent du temps dans l’agenda de leurs salariés pour les laisser fréquenter des tiers-lieux : abonnement dans des coworking, pour sortir de l’entreprise et favoriser la créativité, dans des fablabs et makerspaces pour tester des idées de produits, faire un peu de R&D y compris pour des projets personnels, écolieux pour développer du bien-être en entreprise. Parfois même, des entreprises envisagent des incubateurs internes pour héberger les projets de leurs salariés. Et les témoignages sont unanimes : tout le monde s’y retrouve, l’innovation en premier. Mais la condition de départ pour institutionnaliser tout ça est simple : il faut adopter la conviction que le partage de l’information et des relations managériales horizontales sont plus bénéfiques que le, très désuet, management à la papa.

A savoir
L’intrapreneuriat est, dans le domaine du management, le processus par lequel un ou plusieurs individus, en association avec une grande entreprise à laquelle ils appartiennent, créent une nouvelle organisation — cette organisation peut rester intégrée à l’entreprise ou être une spin-off.