Route du Rhum : « pas le droit à l’erreur » pour Thibaut Vauchel-Camus

Karumag s’est mis à l’eau avec Thibaut, pour partager sa passion dans les vagues du spot de Damencourt, au Moule. (Photo Alice Colmerauer)
Thibaut Desmarest

Intimement lié à la Guadeloupe qu’il a quittée après le lycée, Thibaut Vauchel-Camus, 43 ans, vise le sacre à la barre de son trimaran Solidaires en Peloton-Arsep, dans la classe Ocean Fifty. Ambiteux, l’ancien gamin du club de voile du CSBF s’est confié durant ses courtes vacances dans l’archipel, entre deux sessions de surf au Moule. (Texte Thibaut Desmarest, Photo Alice Colmerauer)

Quels enseignements tirez-vous de ce début de saison très éprouvant ?

C’est vrai que ça a été intense avec le Pro Sailing Tour et la Drheam Cup, où je n’ai d’ailleurs pas particulièrement brillé (1). Mais c’était surtout l’occasion de fiabiliser le bateau et d’accueillir à bord Vincent Riou, mon nouveau routeur pour le Rhum, afin qu’il appréhende ma façon de naviguer sur ce bateau.

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La concurrence apparaît serrée dans cette classe très attractive des Ocean Fifty…

Oui, on retrouve notamment, parmi les huit inscrits, deux skippers qui ont gagné le Rhum (Armel Tripon – 2018 et Erwan Le Roux  – 2014) ainsi que les deux derniers vainqueurs de la Transat Jacques Vabre (Sébastien Rogues – 2021 et Gilles Lamiré  – 2019). Que du beau monde ! Certains bateaux naviguent depuis une dizaine d’années, d’autres n’ont qu’un an mais tous sont équipés de foils désormais. Les nouveaux ne vont de toute façon pas rendre obsolètes les anciens du jour au lendemain, surtout en solitaire.

« Au large, en solitaire ou en double, je suis vraiment en confiance sur ce bateau réputé très marin. Je possède une certaine capacité à pousser le bouchon, parfois plus facilement que d’autres. »

Comment vous situez-vous par rapport à eux ?

En équipage, je dirais plutôt en embuscade, car mes adversaires possèdent des équipes techniques deux fois plus fournies, avec des équipiers professionnels. Les miens ont des jobs à côté, c’est donc plus difficile de trouver des disponibilités par rapport au programme sportif. Au large, par contre, en solitaire ou en double, je suis vraiment en confiance sur ce bateau réputé très marin. Je possède une certaine capacité à pousser le bouchon, parfois plus facilement que d’autres.

Vous semblez mieux préparé qu’il y a quatre ans…

En 2018, c’était ma première en multi. Et pourtant, je pointais en tête avant de subir une avarie qui m’a contraint à faire escale. Depuis, mon expérience s’est étoffée, je sais me mettre dans le rouge. J’ai même chipé le record de la traversée de la Manche (6 jours et dix minutes, le 22 avril 2022) à Francis Joyon ! J’ai fait 2e en 2014, 3e en 2018, il ne me manque plus que la première place. Mais il faut savoir rester humble, ça reste un sport mécanique. Nou ké vwé (on verra bien) !

Quelles sont les particularités de votre trimaran ?

C’est un bateau qui a été mis à l’eau en janvier 2018. Il a cinq ans et l’équivalent de trois tours du monde en miles cumulés. Il a été dessiné par le cabinet VPLP, très réputé dans la course au large, et construit au chantier Enata, à Dubaï, spécialisé dans les bateaux, les kites à foils, les drones à réaction et les constructions en composite pour le bâtiment. Il est équipé de foils, mais il ne vole pas littéralement. Ils servent surtout à limiter l’enfoncement des coques dans l’eau à la gîte. Ça permet de passer d’environ 33 nœuds à 40 nœuds et de gagner en sécurité. On peut tout de même naviguer sur une coque, voire une demie, ce qui offre des images et des sensations incroyables.

« La différence aussi, sur nos trimarans, c’est qu’on n’a pas le droit à l’erreur, on peut vite chavirer. On vit avec cette pression. »

Des sensations semblables à celles des catamarans de sport sur lesquels vous avez fait vos armes ?

À quelques mètres et tonnes de différence près ! Un Ocean Fifty reste relativement grand (15 m sur 15 m) et aérien, mais avec le système de barre franche, les sensations se rapprochent effectivement des catamarans de sport. Au ras de l’eau, les sensations de vitesse sont fabuleuses en F18, comme en karting  ! C’est pour cela que je suis très à l’aise sur mon bateau, car j’ai cette culture des multicoques depuis que je suis tout gamin (il nous montre du doigt le plan d’eau du Gosier où il a débuté, NDLR). La différence aussi, sur nos trimarans, c’est qu’on n’a pas le droit à l’erreur, on peut vite chavirer. On vit avec cette pression.

Vous n’avez pas souhaité opérer de gros chantier cet hiver, pourquoi ?

On a préféré le faire à l’hiver 2020-2021 et non l’année du Rhum, car ça demande énormément d’énergie. Le bateau a été mis à poil. On a inspecté la structure complète, on a tout poncé, virer les enduits, optimiser au maximum. Ça a toutefois été très compliqué avec la pandémie et les retards de livraison qui ont beaucoup impacté le monde du nautisme. Notre nouveau mât a été livré avec deux mois de retard par exemple, une partie des voiles aussi, ce qui a ralenti notre préparation pour la saison sportive. Cet hiver, on s’est donc contenté d’une révision générale classique.

« L’accueil de la Guadeloupe m’a marqué à jamais. »

Quels souvenirs gardez-vous de votre première arrivée en 2014, en Class40 ?

C’était un truc de dingue. Je finis dauphin d’un très beau vainqueur, Alex Pella (ESP). Je me vois encore louvoyer dans le canal des Saintes et jouer le record entre la bouée de Basse-Terre et l’arrivée. C’était l’après-midi, j’étais bluffé par le nombre de personnes sur l’eau, on m’a dit qu’il y avait même plus de monde que pour Loïck Peyron ! Il y avait ma copine, mes copains d’enfance, mais aussi tous ces visages inconnus. La Guadeloupe était venue m’accueillir. Après la course, on m’interpelait même pour signer des autographes, faire des photos. Ça m’a marqué à jamais.

Vous êtes arrivé en Guadeloupe, en 1986, à l’âge de 8 ans. Quelles images gardez-vous du Rhum ?

L’arrivée de Florence Arthaud, en 1990, m’a vraiment touché. J’étais allé voir son bateau passer au large de la Grande Vigie, à Anse-Bertrand, avec ma mère et ma sœur. Ensuite, on s’était bagarré pour se faire une place sur la ligne à Bas-du-Fort. On a vu sa silhouette apparaître au début de la nuit, c’était incroyable. Les jours qui ont suivi, j’ai séché les cours pour aller accueillir les autres skippers sur les pontons : Bourgnon, Poupon, Vatine, Mabire, etc. Je leur faisais signer mes dessins. Ça fait partie des rares fois où j’ai menti à mes parents et à mes enseignants du collège Carnot (Pointe-à-Pitre).

« J’ai déjà prévu de refaire la Transat Jacques Vabre en 2023, pour la gagner, car j’ai quelques frustrations à gommer. »

Pensez-vous déjà à l’après Route du Rhum ?

J’ai déjà prévu de refaire la Transat Jacques Vabre en 2023, pour la gagner, car j’ai quelques frustrations à gommer. Après, ce n’est pas clair, soit je reste en Ocean Fifty avec un bateau au top et des sensations qui me séduisent toujours autant, soit je tente l’aventure en Imoca pour le Vendée Globe, mais les contraintes techniques sont plus lourdes. J’ai cette curiosité et en même temps toujours cette passion pour mon support. Le choix est difficile.

(1)Pro Sailing Tour (4e sur 7 équipages, 11 mai-10 juillet) – Drheam Cup (6e et dernier en solitaire, 13 au 23 juillet).

Arsep, ka sa yé ?

Comme lors de ses deux précédentes participations, Thibaut Vauchel-Camus portera haut les couleurs de la fondation Arsep (Aide à la recherche sur la sclérose en plaques). Le défi Voile Solidaires En Peloton est né du souhait de “TVC” et de son ami Victorien Erussard de mettre leur projet sportif au service de la lutte contre cette maladie.

TVC et sa sœur médaillés au « Mondial »

S’il découvre la voile pendant son enfance, en vacances chez ses grands-parents, à Saint Brieuc (Côtes-d’Armor), c’est en rentrant en Guadeloupe qu’il franchit un cap. « J’ai débuté au CSBF, avec ma sœur, qui vit d’ailleurs toujours sur l’île. Je me souviens qu’on avait participé ici à une sorte de championnat du monde de hobie-cat-13, avec des Brésiliens, des Allemands, des Américains, etc. C’était en 1993, on avait 11 et 14 ans et on avait fini 3e ! Elle a vraiment été ma première coéquipière. »

TVC et Seguin, amis pour la vie

C’est au lycée, en Guadeloupe, que Thibaut Vauchel-Camus et Damien Seguin nouent des liens d’amitié. En première et en terminale, puis à la faculté de Fouillole, ils font équipe sur hobie-cat-16. Les premiers résultats tombent, comme cette 2e place jeunes aux Mondiaux, en Australie. « C’est la première fois qu’on partait au bout du monde sans nos parents. On avait monté nos premiers dossiers de sponsoring. » Détectés, les deux compères quittent la Guadeloupe ensemble, en 1998, et intègrent le pôle espoir de Quiberon (Morbihan). « Les week-ends étaient un peu longs l’hiver. J’avais l’internat pour moi tout seul car Damien avait trouvé une copine ! Je me suis alors retrouvé seul, avec mon micro-ondes et mes polaires. »

Nos 7 skippers sur le “Rhum”

En attendant le départ à Saint-Malo, le 6 novembre 2022, nous avons suivi pas à pas la progression des sept skippers guadeloupéens inscrits à la plus mythique des Transatlantiques. Préparation physique et mentale, quête de sponsors, apprivoisement de leur bateau, découvrez les ambitions et rêves de large de ces grands aventuriers, ambassadeurs de choix de l’archipel.

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