Propulsé parmi les meilleurs marins au sein de la prestigieuse classe IMOCA, Rodolphe Sepho franchit un énorme cap pour sa 3e participation au Rhum. Mais l’éducateur de Goyave, 36 ans, n’en oublie pas ses racines et son combat pour l’insertion sociale des jeunes. Texte et photo Thibaut Desmarest

Un défi XXL en IMOCA

Dans la cour des grands

Après deux participations à bord d’un class40 (1), en 2014 puis en 2018, le Goyavien met le cap sur un défi hors-norme en intégrant la classe IMOCA, barrée par des marins légendaires rompus aux tours du monde en solitaire. « C’est vrai que je rejoins LA catégorie des stars ! Mais c’est finalement la suite logique de mon projet de haut niveau qui doit m’amener, en 2024, à devenir le premier Guadeloupéen à participer au Vendée Globe, l’Everest de la voile. Il me fallait donc franchir un pallier avec un nouveau bateau, plus visible, plus spectaculaire, au sein d’une classe davantage médiatisée. Tout coûte beaucoup plus cher ici. Ce n’était pas forcément ma vision de la voile à l’origine, mais je me suis adapté, ça fait partie de ce sport. »

Une première en Guadeloupe

Conscient du gouffre qui sépare son projet de celui « des fous furieux comme Charal (skippé par Jérémie Beyou, Ndlr), à 8 millions d’euros par an », Sepho sait qu’il sera difficile de rivaliser sportivement. « C’est pour cela qu’on ne vise pas uniquement la performance, on cherche à véhiculer d’autres valeurs et à prouver que ce type de projet peut voir le jour sur l’île. On a l’humilité de dire qu’on apprend chaque jour, en navigation, mais aussi dans la gestion d’une entreprise et de ses hommes, la recherche de partenaires, etc.», précise le seul Guadeloupéen à préparer entièrement son bateau au péyi. Un vrai défi technique et technologique.

« On a dû faire appel à des entreprises non spécialisées, mais qui ont joué le jeu. Locmanu a débloqué sa plus grosse grue ; Smartplay, réputée dans le marquage de bus, a réalisé notre habillage, etc. Malheureusement, on n’a pas pu rentrer le bateau à la marina de Bas-du-Fort car la profondeur dans la zone de grutage est limitée à 3 mètres. Mais le Grand Port maritime a bien voulu nous offrir un espace pour notre chantier, au bout du terminal  croisière (2) », se réjouit Sepho, fier d’avoir pu fédérer toutes ces énergies autour de ce projet de vie. « Ça a été un vrai parcours du combattant car on manque cruellement de savoir-faire et d’infrastructures en Guadeloupe. On a dû faire venir des techniciens de Bretagne, du matériel de Saint-Martin… Ça commence à bouger, mais on possède une richesse en Guadeloupe qui n’est pas assez exploitée aujourd’hui. »

Rodolphe Sepho à la base nautique Voile 44

« Ça a été un vrai parcours du combattant car on manque cruellement de savoir-faire et d’infrastructures en Guadeloupe. On possède une richesse qui n’est pas assez exploitée. »

Un nouveau bateau à apprivoiser

L’ex-Mie-Câline d’Arnaud Boissières

Nul ne sait si la nouvelle monture de Rodolphe Sepho, acquise pour 1,3 million d’euros, lui portera chance. Mais son pedigree peut faire naître de réels espoirs tant elle s’est distinguée sur toutes les mers du globe depuis sa mise à l’eau, en 2007. Acheté il y a quatre ans à Michel Desjoyeaux par le skipper Arnaud Boissières, l’un des marins les plus expérimentés de la flotte, cet Imoca portait les couleurs de La Mie Câline lors du dernier Rhum (9e, en 2018) et du Vendée Globe (15e, en 2021). Associé au barreur des Sables d’Olonne pour la Transat Jacques Vabre (16e en Martinique, le 29 novembre), le Guadeloupéen a donc repris le flambeau sur ce bateau équipé de foils de première génération. « Après grutage, nous avons modifié l’habitabilité à bord, changé son nom en Rêve de large 3, Région Guadeloupe, apposé une nouvelle déco à la sauce Sepho, puis procédé au remâtage (le 8 juin, Ndlr). »

Dernière ligne droite

En offrant un bouchon de rhum à Neptune pour honorer son premier franchissement de l’équateur, fin novembre durant la Jacques Vabre, Sepho s’est immiscé dans la grande famille du large. Une allégeance au dieu de la mer venue aussi, comme un symbole, dessiner la dernière ligne droite de sa préparation. Épaulé par son coéquipier Arnaud Boissières (18 passages de l’équateur) —et futur concurrent à Saint-Malo— le Guadeloupéen a pu avaler, pour sa première transatlantique en IMOCA, « un maximum d’informations sur la gestion du bateau. C’est un sport qui reste extrêmement dangereux, je dois donc multiplier les exercices pour être rassuré sur mon matériel ».

Flanqué de ses nouvelles couleurs, Sepho doit quitter Pointe-à-Pitre pour rejoindre cet été son port d’attache à La Rochelle et entériner ainsi sa qualification au Rhum. « Viendra ensuite toute une série d’entraînements avant le Défi Azimut (13-18 septembre), ma dernière grosse course en IMOCA avant le départ. » L’occasion de valider les derniers réglages.

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Une préparation physique exigeante

Les skippers, athlètes de haut niveau ? « On ne s’imagine pas mais la voile est un sport tellement exigeant, qui crée beaucoup de traumatismes. Il faut travailler le postural, prévenir les risques, être sûr qu’on soit bien dans son corps avant de partir car il n’y a pas d’hôpital en mer ! Quand on navigue à 35 nœuds de vent, on peut vite taper une vague et se faire éjecter. Ma préparation se veut donc continue et pas uniquement pour la Route du Rhum », insiste cet adepte du catamaran de sport, à l’écoute de l’ostéo Malik Merion et du kiné Thomas Pinot pour ne rien laisser au hasard : préparation physique, médicale et alimentation.

Rodolphe Sepho, skipper de la Route du Rhum et éducateur

« C’est un sport qui reste extrêmement dangereux, je dois donc multiplier les exercices pour être rassuré sur mon matériel. »

Ses débuts dans la voile

Ses modèles des années 2000

S’il n’avait que quatre ans lors de la traversée de Claude Bistoquet, le premier Guadeloupéen au départ de Saint-Malo en 1990, Rodolphe Sepho a surtout pris goût au Rhum quelques années plus tard, en suivant les exploits des Coquelin, Fiston, Dreux et Thélier. Ce dernier a d’ailleurs apporté son expertise au Goyavien dans la réussite de son projet. « J’ai aussi été le préparateur de Jimmy Dreux en 2010. Ce sont ces aventuriers qui m’ont attiré vers le large et qui m’ont transmis la magie de La Route du Rhum. »

Un rapport difficile à la mer

À force de persuasion et de résultats sportifs, le jeune Rodolphe a peu à peu fait accepter ses rêves de large à ses parents. « Au début, ils refusaient catégoriquement. C’est pourtant ma mère qui m’a inscrit aux cours de voile, mais dès que j’ai commencé à m’éloigner du bassin de Goyave… » Il faut dire que dans la société antillaise, le rapport à la mer est délicat et rappelle dans l’inconscient collectif l’histoire douloureuse de l’esclavage. « On a beaucoup d’a priori, c’est vrai. Pour prendre son bain le dimanche ou aller faire la fête sur les îlets ça va, mais c’est plus compliqué quand on évoque notamment l’aspect professionnel des métiers de la mer, qui restent très peu valorisés. »

Rodolphe Sepho et des élèves au centre nautique de Goyave

« Pour prendre son bain le dimanche ou aller faire la fête sur les îlets ça va, mais c’est plus compliqué quand on évoque l’aspect professionnel des métiers de la mer, qui restent très peu valorisés. »

Rodolphe Sepho, un éducateur avant tout

Résolument impliqué dans les parcours éducatifs des jeunes Guadeloupéens, à travers son association Rêve de Large et dans ses fonctions d’éducateur à Voile 44, à la base nautique de Goyave, Rodolphe Sepho fait de la transmission son cheval de bataille.

Apporter sa pierre à l’édifice pour offrir un avenir aux jeunes. Sur leurs terres. À travers son association Rêve de Large et son projet intitulé « L’économie bleue au service de la jeunesse guadeloupéenne », Rodolphe Sepho partage son expérience avec les élèves engagés dans la filière « maintenance nautique  » des lycées Chevalier Saint-Georges (Les Abymes), Hyacinthe Bastaraud (Marie-Galante) et Blanchet (Gourbeyre). « On s’est rendu compte que le domaine nautique n’était pas assez exploité en Guadeloupe. On a donc voulu profiter de ce bel événement qu’est la Route du Rhum pour sensibiliser les jeunes et leur faire profiter de notre expertise. »

Plusieurs semaines durant, des petits groupes ont ainsi pu naviguer sur l’IMOCA et en découvrir ses spécificités. Une première dans l’archipel. « Ils ont déjà cette sensibilité à la mer, mais peu affichent des perspectives concrètes sur leur avenir. Je veux les rassurer en leur disant qu’il s’agit d’un secteur d’activité extraordinaire, au fort potentiel, que ce soit dans les métiers de la course au large ou de la plaisance. Il y a tout à faire en Guadeloupe. »

Un sentiment de responsabilité

Également éducateur technique et sportif au centre nautique Voile 44 de Goyave, qui dépend du Centre d’adaptation à la vie active des Abymes, le skipper a fait de son engagement pour les jeunes en rupture familiale, sociale ou scolaire son cheval de bataille. « Le monde de la mer m’a permis de m’épanouir, d’en tirer des bénéfices personnels. Il est de ma responsabilité de transmettre ces valeurs à d’autres jeunes en perte de repères et de projection. Tous ne seront pas profs de voile ou skipper, mais si quelqu’un, à travers mon aventure, peut trouver une porte de sortie, ce sera une belle récompense pour moi. »

Rodolphe Sepho souhaite toutefois leur apporter autre chose que des lignes sur leur CV : « la mer et la pratique de la voile m’ont inculqué certaines valeurs : le dépassement de soi, la persévérance, la patience et surtout l’humilité », insiste celui qui a tracé ses premiers ronds dans l’eau à l’âge de 5 ans, sur ce même plan d’eau de Goyave. Là où tout a commencé.

Rodolphe Sopho et des jeunes des Abymes dans le cadre de l'association Rêve de Large

« Le monde de la mer m’a permis de m’épanouir, d’en tirer des bénéfices personnels. Il est de ma responsabilité de transmettre ces valeurs à d’autres jeunes en perte de repères et de projection. »

(1) Class40 : monocoque de 40 pieds (12,19 m) ; IMOCA : monocoque de 60 pieds (18,28 m). (2) Lors de notre rencontre, début juin, le bateau était encore en chantier, loin des regards. Nous avons donc rencontré Rodolphe Sepho dans son fief, à la base nautique de Goyave.

Le chiffre 1,3

C’est le prix d’achat, en million d’euros, du nouvel Imoca de Rodolphe Sepho. « Ce type de bateau vaut très cher, c’est pourquoi nous avons essayé de maîtriser les coûts en achetant un bateau d’occasion. » Il faut ajouter 300 000 euros de budget pour les à-côtés (inscription, frais de fonctionnement, communication, etc.).

Nos 7 skippers sur le “Rhum”

Depuis le mois de mai, dans Karumag, nos marins se sont livrés à travers des confidences et anecdotes savoureuses qui vous permettront de mieux les appréhender, avant de les retrouver le jour-J dans la cité corsaire.
Thibaut Vauchel-Camus (Ocean Fifty)
Damien Seguin (Imoca)
Keni Piperol (Class40)
Sacha Daunar (Class40)
Willy Bissainte (Rhum Mono)
David Ducosson (Rhum Multi)