À la barre de son illustre monture, sacré lors du dernier Vendée Globe, Damien Seguin, 42 ans, nourrit de belles ambitions pour sa quatrième traversée, qui doit le ramener “à la maison”. Élevé aux effluves du Rhum durant son enfance en Guadeloupe, le skipper de Groupe Apicil rouvre, avec émotion, son livre à souvenirs. (Texte Thibaut Desmarest)

Vous vous affichez à la barre d’un nouveau bateau pour le moins prestigieux. Racontez-nous…

C’est une vraie fierté, effectivement. J’ai pu acquérir le bateau vainqueur du Vendée Globe 2020-2021, barré alors par Yannick Bestaven et qui s’appelait Maître Coq IV. Il s’agit d’un monocoque de 60 pieds de long (un peu plus de 18 m), tout en carbone, avec un mât qui culmine à 29 m de haut pour un poids d’environ 9 tonnes. Il a été mis à l’eau en 2015 et bénéficie donc de technologies plus récentes que mon précédent bateau, comme des foils par exemple.

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Avez-vous eu le temps de l’apprivoiser ?

Oui, c’est un bateau sur lequel je me sens bien. Je l’ai récupéré juste après la dernière Transat Jacques Vabre, à la fin de l’année dernière. Après un court chantier d’hiver, j’ai pu naviguer pas mal cette année, notamment lors de grandes courses en solitaire comme la Bermudes 1000 race (9e/24) et la Vendée Arctique (9e/25), où nous sommes montés jusqu’en Islande. J’ai cumulé pas mal de milles. Je vais pouvoir partir serein de Saint-Malo.

« Au départ du Rhum, j’aurai un bateau sur lequel on a énormément travaillé sa fiabilité. »

Vous n’avez pas effectué de gros chantier, pourquoi ?

L’idée était de pouvoir naviguer le plus vite possible pour prendre mes marques dessus. On a essentiellement changé la décoration et révisé tout ce qui touchait à l’électronique et à l’électricité pour repartir sur un bateau le plus fiable possible. L’hiver prochain, par contre, ce sera un gros chantier qui durera 5 ou 6 mois, en vue du Vendée Globe 2024. Nos “baby foils”, qui datent de 2016 et font partie de la première génération, seront remplacés par exemple. En tout cas, au départ du Rhum, j’aurai un bateau sur lequel on a énormément travaillé sa fiabilité.

« On a cette conscience aujourd’hui de l’environnement dans lequel on navigue, face à un écosystème de plus en plus fragile. »

Certaines pièces ont été fabriquées à partir de matériaux alternatifs. Ça commence enfin à bouger…

C’est important pour moi, mais aussi pour l’ensemble des marins. On a cette conscience aujourd’hui de l’environnement dans lequel on navigue, face à un écosystème de plus en plus fragile. Cet hiver, au lieu de remplacer des pièces par d’autres en carbone, comme la plupart des bateaux de course, on les a fabriquées en fibre de lin avec de la résine bio-sourcée. Pour les supports d’écran, par exemple, le plancher de matossage, la table à carte, le siège de veille, tous ces éléments non-structurels. C’est une petite goutte d’eau mais on veut montrer qu’on peut avoir de bonnes pratiques.

« Quand on regarde l’évolution de mes classements, c’est de mieux en mieux à chaque fois, alors je peux rêver secrètement de finir à une très jolie place. »

Quels sont vos objectifs sportifs pour votre 4e participation au Rhum, la 2e en Imoca ?

Je commence à connaître le chemin de la Guadeloupe ! C’est une course que j’ai toujours terminée (1), c’est important. Je vais continuer à acquérir de l’expérience en Imoca, car j’ai beau avoir un Vendée Globe au compteur, on en apprend toujours. Le Rhum est particulier pour moi, car je reviens un peu à la maison, j’ai vraiment envie de bien figurer. Quand on regarde l’évolution de mes classements, c’est de mieux en mieux à chaque fois, alors je peux rêver secrètement de finir à une très jolie place.

La concurrence sera très rude en Imoca…

Le plateau est extrêmement relevé, avec des bateaux de toute dernière génération qui ont vocation à bien figurer sur les grandes courses océaniques, dont la Route du Rhum et le Vendée Globe, alors je vais surtout miser sur la fiabilité et ma connaissance du parcours. La classe regroupe une quarantaine de bateaux, dont une dizaine de neufs, construits cette année. Le reste de la flotte a au moins participé une fois au Vendée Globe. Tous les skippers auront le couteau entre les dents, ça va être un vrai sprint d’une dizaine de jours.

Niveau budget, vous ne jouez pas dans la même cour que certains concurrents…

Certes, on n’atteint pas les budgets de Charal ou d’autres grands team, mais on a fait grandir notre équipe et on a racheté le bateau qui a gagné le Vendée Globe. Nos sponsors ont mis les moyens pour nous permettre de franchir un cap. On se situe dans une bonne moyenne avec le sentiment de bien faire les choses.

« Je voulais m’embarquer dans l’aventure car c’est plus qu’une course, c’est indescriptible. Je veux revivre ces sensations. »

Après votre très belle 7e place pour votre premier Vendée Globe, vous ne pensez qu’à y retourner en 2024…

Après l’arrivée (en 2021), j’ai tout de suite voulu replonger dans une deuxième préparation. J’ai la prétention de vouloir faire mieux, même si je n’ai bien sûr aucune garantie. Je voulais m’embarquer dans l’aventure car c’est plus qu’une course, c’est indescriptible. J’ai passé 80 jours en mer qui ont été à la fois compliqués et merveilleux. Je veux revivre ces sensations. Ça va être un gros challenge, avec un bateau qui sera bien meilleur. Tout est possible.

(1) 10e en 2010 (Des pieds et des Mains, Class40), 8e en 2014 (ERDF, Des Pieds et des Mains, Class40), 6e en 2018 (Groupe Apicil, Imoca).

Son handicap, tout un symbole

Né sans main gauche, Damien Seguin a marqué les esprits à son arrivée du Vendée Globe, début 2021, affublé de la tenue du capitaine crochet. « J’ai toujours voulu que mon parcours soit un symbole », glisse le fondateur de l’association Des pieds et Des mains, qui œuvre pour plus d’accès aux sports nautiques des personnes en situation de handicap. Lui-même, depuis son enfance, a su convaincre que son handicap n’était pas un frein. « Je n’ai pas beaucoup de recul sur l’ensemble de mon parcours car j’essaie toujours de passer d’un projet à un autre et d’aller vers l’avant. Mais entre ma carrière en voile olympique et aujourd’hui la course au large, c’est vrai que j’ai réussi de belles choses, confie le skipper d’Apicil, un groupe porteur des mêmes valeurs. Je mets toujours énormément de rigueur et de passion dans ce que je fais. La clé de ma réussite est certainement là. »

Damienn Seguin, skipper de la Route du Rhum 2022
Le skipper Damien Seguin (FRA), est habillé en pirate dans le chenal lors de son arrivée aux Sables d’Olonne, dans la course du Vendée Globe, le 28 Janvier 2021. (Photo Jean-Marie Liot/Alea)

Seguin à Paris 2024

En parallèle de sa carrière au large, le Guadeloupéen d’adoption s’est distingué en voile paralympique. À son tableau : l’or aux Jeux d’Athènes (2004) et de Rio (2016) ainsi qu’une médaille d’argent à Pékin (2008), sur un quillard de sport 2.4 mR (4,20 m de longueur). Malgré la suppression de la voile paralympique pour les Jeux de Paris 2024, on devrait retrouver Seguin dans la capitale : « J’ai de fortes attaches avec l’histoire olympique, du côté de l’encadrement aussi. J’aimerais encore jouer un rôle à Paris, auprès des athlètes et des entraîneurs. Je serai présent d’une manière ou d’une autre, car un événement comme ça, ça ne se rate pas. »

Damien Seguin, skipper de la Route du Rhum 2022
Damien Seguin, aux jeux paralympiques de Rio en 2016.

Son enfance en Guadeloupe

• Son arrivée dans l’archipel
« J’ai débarqué en Guadeloupe avec ma famille en 1989, à 10 ans. Je ne savais pas où je mettais les pieds, mais je suis vite tombé amoureux de l’île. J’y ai appris à faire de la voile et j’y ai vécu mes premières émotions sur l’eau, en Optimist, en Laser et en Hobie Cat 16, avec d’abord l’envie de s’amuser, puis le niveau est monté naturellement. J’y ai vécu un peu plus de dix ans avant de partir avec Thibaut Vauchel-Camus, en 1998, pour mener à bien notre projet professionnel. On avait l’opportunité de rentrer à l’École nationale de voile à Quiberon. Le premier hiver n’a pas été simple avec ce vent glacial sur l’eau, mais je pense qu’on a fait le bon choix. »

• Les légendes du Rhum comme modèles
« J’ai assisté à trois arrivées : 1990 avec la victoire de Florence Arthaud, 1994 et 1998 avec Laurent Bourgnon. En 1990, avec mon petit frère, on avait découpé les portraits des skippers dans Voiles et Voiliers pour aller à la chasse aux autographes. J’ai le souvenir d’avoir rencontré Florence Arthaud, Philippe Poupon, Mike Birch, les grands noms qui ont marqué l’histoire de la course au large. Quelques semaines après, je me suis inscrit pour mes premiers cours d’Optimist. C’était à l’AVPP, qui se trouvait à la marina du Gosier. On allait naviguer jusqu’à l’îlet cochon. J’ai ensuite été licencié à l’AS Force 7, puis au CSBF et à Cataraïbes. J’ai fait pas mal de clubs. C’est émouvant de se remémorer ces noms-là, même si certains n’existent plus malheureusement. Vingt ans après l’arrivée d’Arthaud, je disputais ma première Route du Rhum en Class40 (à bord de Des pieds et des Mains, en 20 j., 00h, 6’08). »

Le skipper Damien Seguin en Guadeloupe

Nos 7 skippers sur le “Rhum”

Depuis le mois de mai, dans Karumag, nos marins se sont livrés à travers des confidences et anecdotes savoureuses qui vous permettront de mieux les appréhender, avant de les retrouver le jour-J dans la cité corsaire. Découvrez les 6 autres skippers :
Thibaut Vauchel-Camus (Ocean Fifty)
Rodolphe Sepho (Imoca)
Keni Piperol (Class40)
Sacha Daunar (Class40)
Willy Bissainte (Rhum Mono)
David Ducosson (Rhum Multi)