Retour sur notre échange avec Jean-François Carenco, Ministre délégué des Outre-mer, de passage en Guadeloupe. L’occasion de faire le point avec lui sur la situation générale de nos îles.

« Le modèle des Outre-mer doit changer »

Jean-François Carenco, Ministre délégué chargé des Outre-mer

Vous avez pu vous rendre dans les nombreux territoires ultramarins français : que retirez-vous de vos visites ?

Une grande partie de mon expérience de vie est tournée vers les Outre-mer. C’est une vie de ministre, mais aussi de préfet, jalonnée de responsabilités, de combats et d’amitiés ultramarines. Mais si je devais résumer ce que j’ai appris des Outre-mer c’est que, contrairement à l’image trop répandue de régions en rattrapage, les territoires ultramarins sont des « territoires pionniers » et des terres d’innovation.

Par leur géographie et leur Histoire, ils sont aux croisements des plus grands enjeux de la planète, qu’ils soient démographiques, environnementaux, sanitaires, agricoles ou économiques. Les Outre-mer disposent d’une expérience, de savoir-faire et d’atouts considérables pour construire et promouvoir des réponses innovantes à ces défis. Les Outre-mer sont aux avant-postes sur de nombreux sujets. Je retiens donc que ce sont des territoires d’une richesse, d’une beauté et d’une importance énorme pour la République et je retiens surtout que ce sont des femmes et des hommes d’une incroyable humanité.

Peu de temps après votre arrivée au ministère, la tempête Fiona ravageait la Guadeloupe, rappelant la vulnérabilité des territoires ultramarins aux événements climatiques. Quelle est l’action de l’État en matière de prévention et d’adaptation de ses Outre-mer au dérèglement climatique ?

Vous faites bien de citer la tempête Fiona et ses ravages pour faire mesurer à vos lecteurs et lectrices les impacts du dérèglement climatique. Cinq jours après le passage de cette tempête dévastatrice sur notre territoire, je me suis rendu sur place, à la demande du Président de la République, avec une volonté de proximité avec les Guadeloupéens et Guadeloupéennes les plus impactés. Cette visite m’a permis d’apporter le soutien matériel, moral et financier du Gouvernement à la population sinistrée et aux élus. Mais surtout, j’ai pu mesurer l’ampleur des dégâts et poser les bases d’une reconstruction plus résiliente, qui cherche à s’adapter aux conséquences du dérèglement climatique.

Les dégâts sur les routes, les ponts, les réseaux et certains quartiers ont surtout été générés par des inondations liées aux pluies intenses. Ces dégâts ont été très importants du fait du manque d’entretien des rivières et des ouvrages d’art. Ces derniers n’ont souvent fait l’objet d’aucun diagnostic depuis plus de 10 ans. De plus, la compétence de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (qu’on appelle GEMAPI) est dans les faits peu, voire pas, exercée par certaines collectivités.

Cet évènement, certes tragique, doit pouvoir permettre collectivement d’améliorer la préparation de nos territoires à faire face à ce type d’évènement climatique et de structurer l’exercice des compétences qui le nécessitent. Il est également nécessaire de réfléchir au futur durable de certaines zones fortement exposées aux risques naturels, comme, par exemple, le quartier de Rivière des Pères en Guadeloupe. Je pense aussi, bien sûr, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Ouvéa, au littoral des Antilles… Le ministre Gérald Darmanin m’a demandé un rapport complet sur la situation, et ce qu’il y a à faire. Il sera prêt d’ici deux mois.

En outre, en 2023, une partie du fond vert a spécifiquement été fléchée sur la GEMAPI, ainsi que sur les conséquences du dérèglement climatique, tels que les cyclones, pour des études ou des travaux de protection et d’amélioration. Nous avons obtenu plus de 97 millions d’euros sur l’ensemble des Outre-mer pour réaliser des projets visant à réduire notre impact sur la planète et à adapter notre environnement aux conséquences du dérèglement climatique. Les Outre-mer sont au premier plan.

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Nous avons obtenu plus de 97 millions d’euros sur l’ensemble des Outre-mer pour réaliser des projets visant à réduire notre impact sur la planète et à adapter notre environnement aux conséquences du dérèglement climatique.

Jean-François Carenco, Ministre délégué chargé des Outre-mer

Les discours politiques mentionnent depuis des années l’Outre-mer comme étant un laboratoire des énergies renouvelables. Or, aux Antilles, on est encore sur plus de 70 % d’électricité produite en thermique/fioul pour aider les territoires à se transformer. Qu’a-t-il manqué à l’accompagnement de l’État pour aider à ces transformations ?

On n’a pas que des discours politiques, on a surtout des ambitions fortes et des moyens pour y parvenir. Depuis 2015, il y a la loi pour la transition énergétique pour la croissance verte qui fixe un objectif d’autonomie énergétique à horizon 2030 pour les zones non interconnectées – les Outre-mer, la Corse et les îles bretonnes.

Comment ça marche ? Et bien une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) fixe les orientations stratégiques sur 5 ans. Ces PPE sont en cours de renouvellement dans la plupart des territoires d’Outre-mer. Il s’agit d’une co-élaboration État- collectivités. L’État accompagne donc les collectivités dans la conduite des ateliers et dans l’écriture des PPE. Ça concerne tous les territoires ultramarins sauf la Polynésie Française et la Nouvelle-Calédonie. Ce n’est pas un sujet financier mais une question de décisions coordonnées sur un point particulier. Parallèlement, le Président de la République a annoncé en juillet 2021, alors qu’il était en Polynésie Française, la création d’un fond pour la transition énergétique doté de 60 millions d’euros, spécialement pour ce territoire. Donc, on avance, la part d’énergie renouvelable dans le mix électrique augmente progressivement, du fait de l’introduction de la biomasse solide, en remplacement du charbon, et du développement de fermes photovoltaïques.
Dans quelques années, avec la conversion des centrales thermiques, nous atteindrons un mix encore plus grand.

De plus, les Outre-mer sont à la pointe de projets innovants dans le domaine du renouvelable. Je pense ici à la première centrale électrique à partir d’hydrogène en Guyane, ou encore au photovoltaïque flottant, à la climatisation à l’eau de mer développée à Tahiti.

Enfin, la récente loi sur l’accélération des énergies renouvelables va permettre de lever certains verrous administratifs. Nous progressons donc, mais bien sûr, je souhaiterais que nous allions encore plus vite et je travaille en ce sens.

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En Guadeloupe, la question de l’eau reste irrésolue depuis de très nombreuses années. L’intervention de l’État via la mise sous tutelle du SMGEAG garantit-elle une amélioration des choses pour les usagers, malgré sa non-compétence en la matière ?

Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une mise sous tutelle du SMGEAG. Permettez-moi de rappeler que jusqu’à récemment, les communes de Guadeloupe s’appuyaient sur une myriade d’intercommunalités pour assurer le fonctionnement du service public de l’eau et de l’assainissement, avec un système complexe de ventes d’eau en gros.

Bien que cette compétence dépende des collectivités locales, l’État est donc intervenu pour réhabiliter le réseau d’eau, particulièrement vétuste, notamment en réquisitionnant les opérateurs d’eau pour réparer 6 000 fuites, alors que les populations subissaient des coupures d’eau inadmissibles. En complément de ces réquisitions ponctuelles, il était essentiel de construire sur le temps long. En 2021, la loi a créé le Syndicat Mixte de Gestion de l’Eau et de
l’Assainissement de Guadeloupe (SMGEAG), un syndicat unique conçu pour simplifier et optimiser la gestion et le partage de la ressource en eau. L’État est fortement mobilisé auprès des collectivités pour les accompagner et leur apporter le soutien technique et financier dont elles ont besoin pour rendre le service de qualité que les Guadeloupéens et Guadeloupéennes méritent.

Le 8 novembre dernier à Paris, nous avons signé, avec les parties prenantes, la feuille de route détaillant le plan d’actions prioritaires à mettre en œuvre, ainsi que les contributions respectives des parties prenantes (Région, Département, SMGEAG et État) dans le cadre de la structuration du SMGEAG. Cette feuille a permis d’acter plusieurs engagements déterminants pour assurer l’efficacité du SMGEAG. Ils sont déjà en train d’être mis en œuvre.

Et j’ajoute qu’une enveloppe exceptionnelle de 27 millions d’euros a été budgétée afin d’accompagner le syndicat mixte de fonctionnement, sous réserve qu’il tienne bien les engagements définis ensemble. Donc l’État est vraiment volontaire et déterminé à faire avancer ce sujet, pour que les Guadeloupéens et Guadeloupéennes retrouvent de l’eau au robinet, et des plages où les eaux de baignade sont de bonne qualité.

Quels investissements de l’État cet interventionnisme laisse-t-il présager quand on sait qu’il faudrait environ 2 Mds pour résoudre les problèmes d’alimentation en eau potable et ceux de l’assainissement ?

Il ne faut pas 2 Mds d’euros pour résoudre ces problèmes. Il faut privilégier un entretien régulier du réseau qui n’existe plus et cela passe notamment par des compteurs et un système de facturation, qui là aussi est défaillant. C’est pourquoi nous avons mené ce travail avec la SMGEAG et qu’en 2023, nous lançons donc ce plan eau renouvelé en Guadeloupe et surtout un
accompagnement technique. Je suis transparent sur les comptes, les 27 millions d’euros de ce plan eau s’ajoutent aux 90 millions d’euros de subventions déjà versés entre 2014 et 2020.

Mais je suis également transparent quand je dis qu’il est intolérable que des Français et Françaises continuent à ouvrir le robinet et à ne pas y trouver de l’eau. Est-ce que l’État est responsable ? La réponse est non. Mais l’État est le partenaire numéro un, et à ce titre nous serons là pour suivre les nombreux chantiers. Il s’agit des investissements gigantesques qui apporteront la solution, mais il est vrai que l’eau ne coulera malheureusement pas demain, il faudra accepter le temps des travaux.

Sur les financements, l’engagement des collectivités est désormais total, avec l’appui des crédits
européens. Au-delà de la Guadeloupe, je confirme que tous les territoires seront accompagnés pour leurs travaux d’investissements, par des contrats de progrès, des subventions directes, des prêts à taux très intéressants ou encore de l’ingénierie.

À Mayotte, par exemple, cela représente 400 millions d’euros en 4 ans et une équipe de quatre techniciens et ingénieurs. C’est désormais à la collectivité de Mayotte d’avancer sur la troisième réserve et la deuxième usine de dessalement.

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Le Sénat a tiré la sonnette d’alarme sur la question des déchets, chiffrant un plan nécessaire à 250 M€ en plus des aides de l’État. Nos territoires ne sont pas en reste sur ces questions de mauvaise gestion des déchets : que venez-vous annoncer ?

C’est un chantier que je souhaite absolument faire avancer en 2023. Mon premier déplacement de l’année en Martinique a d’ailleurs commencé par une visite du site de l’enfouissement du Syndicat martiniquais de traitement et de valorisation des déchets : c’est un enjeu majeur commun à tous les territoires.

Ma priorité sur ce sujet est notamment de favoriser l’économie circulaire et la production d’énergie à partir de déchets, qu’on appelle combustibles solides de récupération. D’importants progrès sont encore à faire en la matière, mais je le dis et je le répète, je crois en l’innovation ultramarine. Nous souhaitons développer des projets locaux de valorisation des déchets.

C’est ce qui a été mené notamment à La Réunion, où nous avons soutenu l’ingénierie de projets de traitement et de valorisation des déchets grâce aux fonds Outre-mer. Je souhaite le reproduire dans les Antilles et en Guyane. Le directeur de la prévention des risques (DGPR) travaille désormais à un plan pour tous les territoires, c’est une vraie avancée et là encore nous travaillons avec les collectivités.

Parallèlement au développement de ces innovations locales, des solutions alternatives ont déjà été mises en œuvre pour s’adapter aux contraintes des territoires, comme ce qui est fait avec la CMA-CGM pour poursuivre l’export de déchets plastiques depuis les Outre-mer.

Enfin, il est nécessaire d’adapter la règlementation européenne à la situation des Outre-mer. C’est pourquoi j’ai ouvert un chantier important d’adaptations des normes Outre-mer, des normes européennes et françaises. On recense les normes les plus inadaptées aux réalités ultramarines, et on intègre aussi la directive déchets.

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Sur la question de la vie chère, malgré une inflation moins forte qu’en France hexagonale, les prix, notamment de l’alimentaire, mais pas que, flambent aux Antilles-Guyane, mettant un coup sévère au budget des ménages. En quoi le “Oudinot de la vie chère” est une solution ?

Comme vous l’indiquez, l’inflation est effectivement plus faible dans les Antilles et en Guyane que dans l’Hexagone, notamment pour l’énergie et les biens alimentaires. Si je prends l’exemple de la Martinique, l’inflation y était en novembre dernier de 3,6 % sur douze mois, pour 6,2 % dans l’Hexagone ; la hausse des prix des biens alimentaires de 9,8 % pour 12,1 % dans l’Hexagone.

Il est donc faux de dire que les prix flambent, mais il est vrai que cette inflation s’implique à une population plus fragile. Cette inflation moins forte s’explique par la combinaison des mesures sans précédent prises par l’État pour soutenir le pouvoir d’achat. Dans le cas de l’énergie, je peux citer le bouclier tarifaire et le tarif régulé de vente de l’électricité qui ont permis de contenir la hausse de son prix, ainsi que les remises financées par l’État sur les carburants qui ont été remplacées par une indemnité carburant de 100 € pour les personnes modestes qui prennent leur voiture pour aller travailler. La moindre hausse du prix des produits alimentaires
s’explique par l’effet des différents BQP qui sont négociés chaque année sous l’égide des Préfets.

Au bilan, des paniers à des prix modérés grâce aux boucliers qualité-prix (BQP), élargis à plus de produits de grande consommation, voire à des forfaits téléphoniques, des produits de bricolage et des services automobile. On a même des engagements de baisse de prix malgré l’inflation. Les résultats du « Oudinot du pouvoir d’achat » peuvent être encore amplifiés par les collectivités locales qui fixent le tarif de l’octroi de mer. Les résultats obtenus serviront de point de départ pour les négociations du BQP en 2023 qui ont déjà commencé.

Si la démarche de l’« Oudinot du pouvoir d’achat » a fait preuve de son utilité, la solution pour améliorer le pouvoir d’achat dans la durée réside dans la création de valeur, qui oriente toute mon action comme ministre chargé des Outre-mer.

Vous vous êtes prononcés en faveur du “bio-éthanol” sur nos îles, pour faire baisser le coût de la mobilité : comment faciliter son introduction dans les territoires, qui reviendrait à casser le monopole de l’unique raffineur des Antilles ?

Nous travaillons à cette solution de mobilité décarbonée qui n’est pas encore disponible en Outre-mer. La loi sur l’accélération des énergies renouvelables votée le 10 janvier dernier à l’Assemblée Nationale prévoit un rapport dans les 6 mois sur l’introduction des biocarburants en Outre-mer. On a donc une obligation de résultat mais il faut regarder l’ensemble du sujet, et le rapport avantages/inconvénients d’une telle solution. Il y a des questions économiques (prix, approvisionnement) et techniques (adaptation des infrastructures). Ce premier rapport nous permettra d’y voir plus clair sur la méthode. Ce que je souhaite, c’est que les ultramarins puissent s’insérer dans une démarche de transition énergétique adaptée à leurs territoires. C’est pour cela que nous accompagnons des projets sur l’hydrogène, les véhicules électriques ou que je pousse la réflexion sur les bio-carburants.

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Comment maintenir la continuité territoriale entre nos territoires et la France hexagonale, au regard du prix des billets d’avion ? Des discussions avec les compagnies aériennes sont-elles lancées ? Quid d’un plafonnement du prix du billet ?

Votre question porte sur les réponses que l’État peut apporter à la hausse des prix des trajets d’avion. La hausse du kérosène s’est ainsi traduite par une augmentation de l’ordre de 120 € par passager pour un vol aller-retour Paris-Fort-de-France. Plafonner les prix du billet pourrait remettre en cause la pérennité des compagnies aériennes déjà fragilisées par la crise sanitaire.

Maintenir la concurrence dans le secteur aérien constitue une première réponse pour contenir la hausse des prix des billets. Cette concurrence explique ainsi que les prix au passager kilomètre des trajets vers les Antilles sont sensiblement plus faibles que sur d’autres trajets long-courrier. C’est pourquoi je me suis attelé à la question du redressement des compagnies aériennes ultramarines. On a déjà de premiers résultats : Air Austral va mieux, et la Commission européenne vient tout juste de confirmer le plan de redressement que l’État soutient financièrement.

De plus, je suis tout particulièrement attentif à la situation du groupe Corsair, et au prix et à la fréquence de la desserte de Saint-Martin. Soutenir de manière renforcée les personnes fragilisées par l’augmentation des prix d’avion constitue une deuxième réponse. Pour cela, le Gouvernement a fortement augmenté les moyens de LADOM. Cela permettra une prise en charge jusqu’à 50 % du prix du billet d’avion pour les ultramarins modestes qui doivent
se déplacer vers l’Hexagone et qui sont éligibles à l’aide à la continuité territoriale, contre un peu moins de 40 % précédemment.  Un nouveau Président et un nouveau DG de LADOM permettent maintenant d’agir.

De nombreux élus ultramarins demandent un “autre modèle” sur la manière dont fonctionnent nos économies : comment répondez-vous à cela ?

Je suis d’accord avec eux, en matière économique, le modèle Outre-mer doit changer. Notre logiciel était centré sur l’État et la dépense publique, alpha et omega du développement des territoires ultramarins. Pendant trop longtemps, pour compenser les handicaps naturels, alors que les Outre-mer ont des potentiels de développement exceptionnels, pour permettre un rattrapage, la politique conduite a essentiellement consisté à distribuer des subventions et à baisser les charges fiscales et sociales. Cette logique est à bout de souffle.


Donc, maintenant, avec Gérald Darmanin, notre objectif est de choisir ensemble (État, collectivités, entrepreneurs) des secteurs économiques stratégiques pour chaque territoire sur lesquels concentrer nos efforts, avec des objectifs réalistes et réalisables à l’horizon 2030. Ainsi, lors de mon déplacement en Martinique de janvier, je me suis longuement entretenu avec M. Serge Letchimy, président de la CTM ; j’ai rencontré les dirigeants de la SARA pour envisager l’évolution de son modèle compte tenu de la diminution prévisible de la consommation des carburants fossiles. J’y ai rencontré des chefs d’entreprises martiniquaises innovantes, qui ont conforté ma conviction que les Antilles et la Guyane disposent des ressources et de l’énergie pour devenir des territoires « pionniers ».

Je peux par exemple citer la société « Emerwall », basée à Fort-de-France, qui a été fondée par quatre jeunes martiniquais qui font un matériau isolant pour le BTP à partir de bagasse de canne à sucre et qui à ce titre a bénéficié de fonds France 2030. Cette jeunesse innovante mérite un avenir, l’État peut le soutenir.

On prendra toutes nos responsabilités pour accompagner, favoriser et soutenir la transformation des économies ultramarines. C’est dans ce cadre que je conçois mon rôle de ministre. J’ai ainsi à cœur de mobiliser les opérateurs de l’État comme Business France, Atout France, BPIfrance, l’Agence française de développement ou encore le CNES en Guyane, en vue d’un unique but : rendre les économies ultramarines plus dynamiques, plus innovantes et mieux ancrées dans leur bassin géographique. Des objectifs que nous pourrons atteindre si nous travaillons tous ensemble, en partenariat étroit avec les acteurs locaux, au premier rang desquels les collectivités.

Pour prendre le cas de l’innovation, je suis en train de travailler avec M. Bruno Bonnell, le Secrétaire Général pour l’Investissement, qui est chargé de conduire le plan France 2030. Notre objectif est que les Outre-mer puissent bénéficier pleinement de ce plan doté de 54 milliards d’euros pour bâtir l’économie ultramarine de demain. D’ici quelques semaines, nous devrions présenter la méthode aux préfets pour qu’ils puissent la mettre en œuvre avec les équipes de Bruno Bonnell au service des projets portés par des Antillais et des Guyanais.

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À propos de nouveaux modèles, on parle beaucoup d’évolution institutionnelle dans nos territoires : comment vous positionnez-vous dans ce débat ?

Ma conviction, c’est que l’Outre-mer n’est pas une charge, mais une chance pour la France, et que la France n’est pas une contrainte, mais une chance pour les Outre-mer.

Le Président de la République Emmanuel Macron a reçu les élus ultramarins le 7 septembre 2022 pour avoir un dialogue approfondi de plus de 3 heures sur les enjeux du renouveau dans les Outre-mer. Une nouvelle méthode a alors été adoptée pour continuer à travailler en confiance avec les territoires et les élus, dans un esprit d’ouverture et de disponibilité. Il s’agit de trouver les voies d’une action publique plus efficace face aux problèmes du quotidien de nos compatriotes ultramarins.

Une comitologie a été mise en place avec les élus et les préfets au niveau local, au niveau national un comité d’orientation stratégique a été installé. Un chef de projet de projet interministériel a également été désigné, au sein de la direction générale des Outre-mer (DGOM).

Enfin, la Première ministre tiendra un comité interministériel des Outre-mer (CIOM) d’ici mai 2023 pour acter une première série de décisions. Nous voulons ainsi répondre aux difficultés concrètes de mise en œuvre des politiques publiques et trouver des réponses adaptées à chaque territoire. Par la suite, les travaux sur les questions institutionnelles s’appuieront sur le
principe de la différenciation et de la responsabilisation, car c’est ainsi que seront assurés un développement économique et un rayonnement plus ambitieux de nos territoires.

Avec Gérald Darmanin, nous recevrons un à un les présidents de collectivités pour avancer sur ces sujets. Mais attention, ma priorité c’est d’améliorer le quotidien des gens, et ce que je compte analyser pour ma part sont les freins et les solutions pour y arriver, si cela passe par bouger les lignes institutionnelles pourquoi pas, mais dans l’ordre des combats, le mien c’est de faire en sorte que nos concitoyens et concitoyennes aient un meilleur présent et les enfants un bel avenir.

La démographie de nos territoires et la réalité de la situation sociale chez nous font craindre des effets très durs de la réforme des retraites et du chômage à tel point que la demande est faite de ne pas les appliquer de la même manière ici : quels sont les dispositifs prévus pour les territoires ultramarins ?

Les trois piliers de cette réforme des retraites, indispensable et urgente, sont « justice, équilibre, progrès » : ils sont parfaitement adaptés aux ultramarins, car c’est tout ce que l’on vise collectivement.

Je souhaite particulièrement souligner deux mesures de la réforme des retraites qui, contrairement à ce que vous indiquez, sont bien adaptées aux situations ultramarines. D’abord, les seniors des Antilles, de la Guyane et de La Réunion seront directement concernés par l’augmentation de la pension prévue dans la réforme à 1 200 € minimum pour une carrière complète. Ce sera un soutien significatif et nécessaire aux plus modestes.
Ensuite, le départ à la retraite à 64 ans, c’est une situation qui est déjà une réalité dans certains territoires d’Outre-mer, puisque l’âge moyen de départ à la retraite en 2021 s’échelonne entre 64,3 ans à La Réunion, 65 ans en Guyane contre 62,7 ans en France hexagonale. C’est donc une réforme réaliste, avec laquelle on va cesser de se cacher derrière notre vision individualiste et on va enfin aider ces retraités précaires, trop nombreux en Outre-mer.

Au cours du travail parlementaire qui va désormais avoir lieu, je resterai vigilant et mobilisé pour que la réalité sociale et les particularités des Antilles, de la Guyane et de La Réunion soient bien prises en compte. Mais attendons à présent le processus démocratique au sein des parlements et le vote de cette loi : la Première ministre s’est montrée pleinement ouverte à la concertation. Quant aux autres territoires ultramarins, la réforme ne s’y appliquera pas automatiquement car ils disposent de régimes de retraite spécifiques, pour lesquels l’État n’est pas compétent, à l’exception des régimes de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon.