Le « séminaire agricultures ultramarines et changement climatique » à la Guadeloupe est une première pour les territoires ultra-marins, marquée par la présence exceptionnelle de Philippe Vigier, Ministre délégué chargé des Outre-mer. Retour sur l’événement qui se tenait peu après l’ouragan Tammy.

Texte Édouard Saelen – Photo PURE VISION

Ces 23, 24 et 25 octobre 2023, la Guadeloupe recevait le premier et très attendu « séminaire agricultures ultramarines et changement climatique ». Rassemblant des délégations de l’ensemble des territoires d’outre-mer ainsi que de l’Hexagone, le séminaire s’est ouvert alors même que l’île se remettait du passage de l’ouragan Tammy. Les vœux d’introduction de Jean-Marie Hubert, 1er vice-président du Conseil régional de Guadeloupe, ont alors témoigné d’une intention claire : « La situation climatique nous échappe et semble irréversible. Sans faire de catastrophisme, nous pouvons dire qu’il y a urgence à agir, et ensemble ».

À l’hôtel de la Créole Beach au Gosier, le séminaire, lancé à l’initiative commune de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole des départements d’Outre-mer) et des Chambres d’agriculture de France et de Guadeloupe, a convié des représentants de l’ensemble de la filière agricole et agroalimentaire ultra-marine, qu’il s’agisse de la production, la transformation, la distribution, l’enseignement, la recherche ou des décideurs politiques. L’objectif est de « faire en sorte qu’à la sortie de ce séminaire, chacun puisse s’engager concrètement dans ses fonctions » comme le rappelle Jacques Andrieu, directeur de l’ODEADOM.

seminaire agriculture ultramarine et changement climatique

Les réalités du changement climatique en Outre-mer

L’état du changement climatique est une préoccupation croissante en raison de ses effets dévastateurs et des menaces qu’il fait peser ; un constat particulièrement vérifié en ce qui concerne les territoires d’outre-mer. D’après le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le globe aurait déjà connu un réchauffement de 1,1° C par rapport aux niveaux préindustriels. Selon les scénarios avancés, les températures pourraient grimper de 2 à 6° C d’ici à la fin du siècle avec des gradients plus marqués pour l’ultra-marin.

Les conséquences directes de ce changement climatique peuvent relever de la montée du niveau des eaux, de l’acidification de la mer et des cours d’eau, de l’augmentation des épisodes de sécheresse ou de la perturbation du cycle des pluies entraînant des pénuries d’eau. De là, les implications sur la santé et les activités humaines sont majeures, de même que sur le maintien de la biodiversité dont l’outre-mer concentre 86 % du potentiel national.

« Nos territoires d’Outre-mer sont en première ligne dans la lutte face à la crise climatique, du fait de leur insularité, de leurs basses latitudes, de leur topographie très spécifique et de leur exposition aux phénomènes météorologiques extrêmes dont on voit la sévérité s’accroître », précise Emmanuel Cloppet, directeur régional Météo France pour les Antilles-Guyane.

Les défis du secteur agricole et agroalimentaire

À la fois victime et contributeur notable à la crise climatique, le secteur agricole et agroalimentaire fait face à des défis aussi nombreux que complexes, qui pèsent sur l’ensemble de la chaîne de valeur.

À court terme, les experts anticipent une réduction de la productivité agricole, associée à une diminution de la qualité nutritive des aliments ainsi qu’à une prolifération des nuisibles ou ravageurs de cultures. L’élevage n’est pas en reste, étant lui aussi touché par les modifications des disponibilités en pâturages et les risques accrus de maladies animales dus aux changements climatiques. À plus long terme, les inquiétudes s’étendent aux sols qui s’appauvrissent, au recul du foncier agricole, et à la raréfaction des ressources en eau, tant en surface qu’en sous-sol. C’est donc la logique de souveraineté alimentaire de ces territoires qui pourrait se retrouver menacée.

L’engagement et la résilience

À travers des sessions plénières, des tables rondes, des ateliers de réflexion et des visites de terrain aux côtés des agriculteurs et des éleveurs guadeloupéens, le séminaire a réussi à mobiliser les acteurs sur l’adoption de meilleures pratiques.

D’emblée, les discussions ont mis en lumière l’importance cruciale de la gestion des sols pour stocker du carbone et préserver leur fertilité. Sur la base de projets et de recherches en cours, les experts ont plaidé en faveur de pratiques agronomiques et d’élevage à encourager.

L’eau, ressource vitale dans l’arsenal des stratégies d’adaptation au changement climatique, a aussi été au cœur des débats. On évoque la planification des besoins en eau, les modes d’irrigation, le recours aux eaux souterraines ou encore la mise en œuvre du Plan eau Outre-mer.

Enfin les voix institutionnelles ont pris le relais pour s’accorder quant à la nécessité d’un soutien financier, juridique et technique, dévoué aux agriculteurs comme aux éleveurs. Comme l’a souligné Philippe Mauguin, président-directeur général de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), « Les ajustements et les adaptations incrémentales ne seront pas suffisants », avant d’ajouter : « il faut réorienter nos modèles vers des systèmes rentables et productifs pour nos agriculteurs. Notre objectif est d’éviter les scénarios de rupture aux conséquences sociales inacceptables ».

L’espoir d’un avenir durable

Au-delà des défis, c’est l’espoir d’un avenir plus durable qui a animé ce séminaire agricultures ultramarines et changement climatique. L’engagement des acteurs de la filière et la volonté politique de préserver les richesses de l’outre-mer ont motivé ces trois jours de discussions. Beaucoup espèrent déjà une continuité à cet événement comme nous le confirme Alain Bazir, secrétaire générale de l’IGUAVIE (Interprofession guadeloupéenne de la viande et de l’élevage). Il nous confie que « nos interprofessions ont tendance à travailler en silo – IGUAVIE, IGUAFLHOR, IGUACANNE – SICA LPG, SRIG* – mais il nous apparaît aujourd’hui qu’une solution d’adaptation serait de favoriser nos logiques de réseaux, que les apports d’effluents issus de l’élevage puissent par exemple bénéficier aux champs de canne. Je pense qu’on est au début d’une collaboration plus profonde ». Rendez-vous est pris au prochain Salon International de l’Agriculture en 2024.

* IGUAFLHOR : Interprofession guadeloupéenne des fruits et légumes et de l’horticulture.  IGUACANNE : Interprofession guadeloupéenne pour la canne à sucre.
SICA-LPG : Groupement bananier. Les producteurs de Guadeloupe.
SRIG : Syndicat des rhumiers indépendants de la Guadeloupe

Un séminaire pour trois ambitions fondamentales

1. Sensibiliser le secteur agricole et agroalimentaire sur les effets du changement climatique dans les départements d’Outre-mer en vue d’alerter sur les problématiques concrètes que soulèvent l’atténuation et l’adaptation de ce changement.
2. Permettre de prendre du recul sur la situation, de favoriser la capitalisation des savoirs et la préparation du futur en engageant les différentes parties prenantes à bâtir des stratégies de moyen terme.
3. Faire réseau entre ces acteurs, créer les conditions favorables aux synergies et aux échanges fructueux.