Les mois d’octobre se suivent et se ressemblent. Une fois les rubans roses rangés, que reste-t-il de la politique de dépistage des cancers du sein ? Rencontre avec Anne Bruant-Bisson, directrice générale de l’ARS Martinique, déterminée à toucher toutes les femmes du territoire.

Texte Mathieu Rached

Quelques semaines après la campagne Octobre Rose et alors que la mesure 25 du CIOM (Comité interministériel sur l’Outre-mer) représente l’engagement du gouvernement à accompagner les territoires ultramarins dans l’amélioration des délais en cancérologie, nous avons rencontré la directrice générale de l’ARS Martinique. Si “le plateau technique d’imagerie du CHUM, notamment avec le TEP SCAN et la TEP IRM, place la Martinique parmi les plus grands centres mondiaux dans la discipline”, elle relève que subsistent plusieurs obstacles à une meilleure lutte contre le cancer du sein, “en lien avec le dépistage et avec les délais de soin”. En 2021, sur les 75 000 femmes de 50 à 74 ans du territoire, seules 17 000 se sont fait dépister dans les 11 centres d’imagerie médicale agréés du territoire. Ni assez, ni satisfaisant, reconnaît Anne Bruant-Bisson. À l’heure de choisir les batailles décisives et faire progresser la santé des femmes, la directrice apparaît résolue à ne laisser aucune Martiniquaise sur le côté.

4 octobre 2023 : coup d’envoi d’Octobre Rose à la mairie du Carbet qui détient le meilleur palmarès du taux de dépistage soit plus de de 50 % des femmes de 50 à 74 ans.

Il y a deux mois la campagne touchait à sa fin, quel bilan faites-vous de l’édition 2023 d’Octobre Rose en Martinique ?

De ce que j’ai pu observer (elle a pris ses fonctions en janvier 2023, ndlr) « Octobre Rose » se compte désormais dans le paysage événementiel martiniquais comme une mobilisation citoyenne et solidaire de grande envergure contre le cancer du sein. C’est plutôt un bon signal qu’il faut accompagner et renforcer. Cette année ce ne sont pas moins de 489 événements qui ont été recensés avec environ 135 associations qui ont pu mobiliser autour de 8 000 bénévoles sur le terrain, donc en proximité directe de la population. Du traditionnel « le relais pour la vie » organisé par la Ligue contre le cancer à l’exposition photos très poignante réalisée par les Amazones, ces initiatives toujours aussi originales ont touché plus de 190 000 personnes sur tout le mois d’octobre car massivement relayées dans la presse et sur les réseaux sociaux avec plusieurs milliers de références comptabilisés sur la période. C’est la preuve d’un effort collectif des martiniquais pour réduire l’incidence et la mortalité de ce cancer. Je souhaite aussi remercier l’ensemble des municipalités, car elles étaient, cette année comme les précédentes, toutes mobilisées aux côtés de très nombreux acteurs économiques pour faire vivre l’événement et rendre visible la lutte contre le cancer.

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Chaque année, quel effet produit cette manifestation ? Dans les semaines qui suivent, voit-on par exemple plus de femmes se rapprocher des centres de dépistages ou interroger leurs médecins généralistes ?

Octobre Rose, c’est vraiment le mois de la mobilisation contre le cancer du sein, mais attention, le cancer ne se réduit pas au mois d’octobre. La prévention, c’est toute l’année, le dépistage aussi. Je souhaite l’excellence pour ce territoire. Lors du webinar de clôture, j’ai bien fait ressortir la nécessité d’avoir un plan d’actions contre ce cancer qui va au-delà d’Octobre Rose avec des priorités comme celles d’améliorer l’accès aux centres de mammographies, mais aussi de l’accompagnement des patientes pendant et après les soins, pour la réinsertion dans leur vie sociale et professionnelle.

Si vous deviez en citer deux, quelles actions de proximité cette année vous ont paru particulièrement importantes ? Pourquoi ?

Il me sera difficile de retenir une ou deux car elles sont quasiment toutes originales. Je pense aux initiatives déployées par diverses associations en faveur des publics vulnérables tels que les personnes en situation de handicap, de précarité, ou les femmes en détention, mais également, la marche visant à sensibiliser sur la situation des femmes migrantes et d’origines étrangères, qui rencontrent des obstacles au dépistage en raison de la langue et de la culture. Cette approche du “aller-vers” demeure une priorité en Martinique, en réponse à ce contexte social ou de précarité plus difficile pour la prévention et le dépistage.

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Le diagnostic demeure la pierre angulaire de la lutte contre le cancer.

Et c’est là encore, à ce jour, un point d’amélioration, je constate que les effets de santé publique attendus sont relativement timides. La participation au dépistage organisé peut encore progresser et les diagnostics sont encore trop tardifs. Les messages de prévention doivent être plus accessibles à la population. Il va donc falloir prendre tout cela en considération et continuer d’améliorer, avec les parties prenantes, la stratégie de communication autour des prochains octobre Rose, mais aussi toute l’année pour atteindre notre cible qui reste, je le rappelle : la prévention, le dépistage et le diagnostic précoce.

Concrètement, quelle marge de manœuvre identifiez-vous ?

C’est toute la complexité de l’ « aller vers », une démarche à renforcer sur l’ensemble du territoire. Le GIP PROM porte cette expertise dans le cadre d’un programme de travail social en appui de la lutte contre le cancer et du dépistage en particulier. Il nous faut tenir compte des spécificités territoriales, du contexte social et des besoins de la population pour une compréhension optimale. Consciente de l’hétérogénéité du territoire, je veillerai à ce qu’aucune couche ne soit laissée de côté, aucun segment négligé dans le dépistage, tout en développant une approche communautaire. Cela passe évidemment par le renforcement de nos partenariats déjà forts avec le tissu associatif, les élus et notamment les élus de proximité.

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Pour cela, l’offre de dépistage est-elle bien structurée, trouve-t-on assez de centres, de disponibilités ?

Le dépistage fait actuellement l’objet d’une réforme nationale. Dorénavant il appartiendra à l’assurance maladie de gérer les invitations et les relances aux publics concernés que ce soit pour le dépistage du cancer du sein, du colon-rectum ou encore du col de l’utérus. Néanmoins, le centre de coordination régional des dépistages des cancers porté par le GIP PROM continuera à agir sur le terrain, plus en proximité encore de la population. C’est cela que nous appelons l’”aller-vers”. Ce centre financé par l’ARS devra aussi s’assurer de la réalité de l’organisation des parcours de soins : des bonnes articulations avec les professionnels du premier-recours, dont les médecins généralistes, les spécialistes d’organe et bien évidemment les centres de radiologies et les laboratoires. Nous avons en effet une vraie problématique de délais et devons éviter toute perte de chance. Les ressources ne sont pas extensibles et la démographie médicale est vraiment sous tension, il faudra donc jouer la mutualisation, optimiser l’utilisation de nos équipements d’imagerie et parfois innover dans les outils (télémédecine). C’est un vaste chantier que j’ouvrirai avec l’ensemble des acteurs dès le mois de janvier 2024 avec des indicateurs de suivis très précis.

En matière de politique de santé contre le cancer, quel est le rôle que joue l’ARS localement ?

L’ARS pilote la stratégie de lutte contre les cancers en Martinique en y associant l’ensemble des acteurs du monde de la santé, du social et du médico-social. Ces acteurs se sont : le CHU de Martinique, la Clinique Saint Paul, les centres de radiologie… mais aussi les professionnels libéraux, les partenaires associatifs notamment qui sont nos relais pour informer et accompagner les populations, ainsi que les élus qui nous appuient au quotidien sur les territoires.

La coordination de ces acteurs est confiée au GIP PROM qui demeure le bras armé de l’ARS dans le domaine du cancer. J’ai d’ailleurs, par lettre de mission, fixé les objectifs du directeur de ce groupement d’intérêt public. Je souhaite qu’il renforce la mobilisation des acteurs sur les attendus en matière de parcours. Une attention particulière devra être portée sur la structuration des filières, notamment celle du cancer du sein, le suivi des délais avec les établissements hospitaliers qu’il faudra soutenir dans l’amélioration continue des pratiques de prise en charge. Cela dit, l’ARS et le GIP PROM n’interviennent pas seuls, c’est essentiellement un travail de co-construction avec les professionnels de santé, les hospitaliers, les libéraux, les usagers, les élus et différents leaders d’opinion. C’est ce travail collectif que j’entends renforcer. 

À ce propos, j’ai sollicité auprès de l’Institut national du cancer, une mission d’audit et d’expertise sur l’ensemble de notre parcours de santé en matière de cancer. Un prochain rapport issu de la visite en Martinique effectuée du 13 au 17 novembre, formulera des préconisations et recommandations pour nous appuyer dans l’amélioration de la prise en charge globale.

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4 octobre 2023, coup d’envoi d’Octobre Rose à la mairie du Carbet qui détient le meilleur palmarès du taux de dépistage soit plus de 50% des femmes 50 à 74 ans.

Bilan octobre rose

489 événements
135 associations
8 000 bénévoles mobilisés

250 femmes en Martinique sont chaque année touchées par le cancer du sein,
soit le cancer féminin le plus fréquent avec 33 % des cas diagnostiqués.