Kéni Piperol : les secrets de sa success-story jusqu’à la Route du Rhum
Route du Rhum Destination Guadeloupe. Loin de l’agitation bretonne qu’il a quittée il y a deux ans, Kéni Piperol façonne sa carrière de marin comme il a construit son bateau Captain Alternance, avec minutie. Grand espoir de la voile guadeloupéenne, le skipper de 26 ans nous a ouvert les portes de sa nouvelle vie, à Port-Médoc, au sein du prestigieux team Lalou Multi. Reportage. (À Port-Médoc, Thibaut Desmarest)
Avec son polo noir flanqué d’une tête de chat verte et de deux tridents, l’emblème de son sponsor Walt, Kéni Piperol ne passe pas inaperçu sur la terrasse du bistro Le Ponton, à Port-Médoc, où la joyeuse troupe de l’écurie Lalou Multi prend ses quartiers. « Je crois que c’est lui qui va faire la Route du Rhum », tente un badaud à l’oreille de sa compagne, dans le dos du Guadeloupéen, démasqué. Il faut dire qu’on croise peu d’Antillais coiffés de locks dans cette paisible marina à l’architecture scandinave, hormis son sympathique collègue saint-martinois Moïse Lavoile (ça ne s’invente pas). En ce début du mois d’août, où le mercure atteint des records dans le Sud-Ouest, les feux de forêt rougeoient le ciel de l’autoroute A63 qui conduit à l’extrémité nord du Médoc, point de rencontre de l’estuaire de la Gironde et de l’océan Atlantique, face à la station balnéaire de Royan. Bienvenue au bout du monde, dans la nouvelle vie rêvée de Kéni Piperol.
Pour mieux appréhender son itinéraire, remontons à la genèse de cette success-story. Diplômé en 2016 de la dernière promotion de l’école régionale de formation Guadeloupe Grand Large, aujourd’hui disparue, le Mornalien s’aligne la même année sur la Transat Québec – Saint-Malo, aux côtés de son mentor Luc Coquelin. « C’est lui qui m’a présenté la veille du départ à Lalou Roucayrol, qui concourait sur un trimaran. Nos premiers échanges ont débuté là-bas, mais je me souviens que j’étais très timide à l’époque. J’avais aussi rencontré Mike Birch, d’ailleurs. On peut y voir un signe mais j’étais à mille lieues de penser, à ce moment-là, que je ferai un jour la Route du Rhum. » Et pourtant. L’année suivante, Kéni Piperol marque les esprits avec sa quatrième place sur la mini-transat (La Rochelle – Fort-de-France). Si certains élus guadeloupéens l’imaginent déjà porte-étendard du Rhum 2018, lui garde la tête froide et refuse de brûler les étapes. « Je voulais prendre le temps de m’inscrire dans un projet performant et ne pas faire n’importe quoi. Je ne regrette absolument pas. »
Un projet sur-mesure
Malgré deux saisons difficiles financièrement et psychologiquement sur le circuit Mini, qui ont failli le contraindre à tout arrêter, Kéni Piperol voit l’horizon s’éclaircir début 2020, quand le patron de l’écurie Lalou Multi le reçoit enfin dans son fief, un projet taillé sur-mesure dans sa mallette. « Il cherchait un skipper en devenir pour lancer son projet de construction d’un class40. Mon profil l’intéressait, sachant qu’il est très attaché à la Guadeloupe, qu’il a beaucoup d’amis là-bas comme Claude Bistoquet (deux participations au Rhum en 1990 et 1994). J’ai appris plus tard que Lalou me suivait de très près depuis mes débuts. Je dois lui rappeler un peu son parcours étant plus jeune. »
« Chez Lalou, les skippers construisent eux-mêmes leurs bateaux et sont propulsés chef de chantier. »
Changement de vie, changement de décor, le Guadeloupéen accepte le deal et quitte l’agitation du centre névralgique des voileux, à Lorient – La Base, pour rejoindre la quiétude de Port-Médoc, peu avant le confinement. « J’ai vraiment été séduit par ce projet, porté, en plus, par une structure reconnue et professionnelle. Et puis je pouvais enfin avoir un salaire, gagner ma vie. » Clés du hangar en poche, Kéni nous ouvre les portes de cette forteresse bien gardée, où trône encore l’énorme moule de Captain Alternance. L’occasion de revenir avec lui sur ses longs mois passés les mains dans la colle. « J’ai commencé par travailler sur le trimaran Arkema 4 de Quentin Vlamynck, où j’ai énormément appris, notamment sur le composite, mais le chantier a pris six mois de retard. Je trouvais le temps un peu long à faire de la strat’ toute la journée ! Je ne naviguais pas, j’étais loin de ma famille, ce n’était pas facile au début », rembobine Piperol, qui doit attendre un an avant que l’Ocean Fifty ne laisse enfin place à son bébé, au printemps 2021. « Chez Lalou, les skippers construisent eux-mêmes leurs bateaux et sont propulsés chef de chantier. J’avais donc pour mission de faire le lien entre le bureau d’études et les opérateurs composites qui construisent les pièces, de passer les commandes liées à l’accastillage et au gréement, etc. C’était une grosse responsabilité, d’autant qu’il s’agit du premier Class40 au monde 100% recyclable (lire encadré) », confie le jeune skipper de 26 ans, sous le regard bienveillant de sir Justin Dobson, le chef de chantier à l’accent « so British« venu des Cornouailles, à la pointe sud-ouest de l’Angleterre.
Objectif top 5 pour Kéni Piperol
Engagé dans une vraie démarche de transmission auprès de ses apprentis, le patron Lalou Roucayrol incite aussi son jeune poulain à dénicher ses propres sponsors. La boîte à outils laisse place à l’attaché-case. « Grâce à Didier Delpech, le président du centre de formation Fore en Guadeloupe, j’ai pu présenter mon projet aux responsables de l’association Walt, qui promeut également l’alternance et qui regroupe plusieurs entreprises partenaires. Je leur ai dit : mon bateau devrait ressembler à ça, mais on n’a pas commencé à le construire. Ce n’était pas gagné mais je crois qu’ils ont été séduits par mon dynamisme et surtout mon optimisme ! » Quelques mois plus tard, le téléphone sonne et le contrat est paraphé. La mise à l’eau du nouveau Captain Alternance (850 000 euros de budget de construction) est fêtée en grande pompe, le 6 janvier dernier.
« Ce serait prétentieux de viser la première place sur le Rhum, mais je pense qu’un top 5 est jouable. Je veux surtout avoir le sentiment, en arrivant en Guadeloupe, d’avoir tout fait le mieux possible. »
Des fourmis dans les mains, des paillettes dans les yeux, Kéni Piperol peut enfin barrer son nouvel allié et saluer les pêcheurs campés sur la digue du petit port de 800 anneaux, fier du travail abattu. Pour le marathonien (il a bouclé le marathon du Médoc, le 10 septembre, en 4h51’) s’engage alors un sprint pour apprivoiser son Class40 de type scow (étrave ronde), nouvelle génération, à quelques mois du départ à Saint-Malo : 1000 milles des Sables (8e/17), championnat du monde à La Rochelle (6e/16), Drheam Cup (20e/38). Le bizuth accumule de l’expérience dans une classe qu’il découvre. « Je suis nouveau mais je me sens à l’aise parmi eux, en mer et sur le bateau. Ce serait prétentieux de viser la première place sur le Rhum, mais je pense qu’un top 5 est jouable. Je veux surtout avoir le sentiment, en arrivant en Guadeloupe, d’avoir tout fait le mieux possible », se livre Piperol entre deux virements de bord dans la pétole de son terrain de jeu, entouré de ses jeunes acolytes Thomas Jourdren (préparateur) et Moïse Lavoile (opérateur stratifieur). Désormais plongé dans le grand bain, le Guadeloupéen semble avoir posé les bonnes fondations d’une carrière de skipper pro dont il a tant rêvé, toujours accompagné par sa bonne étoile. « Je me dis que j’y suis peut-être un peu pour quelque chose quand même ! En tout cas, j’ai toujours suivi mon instinct. Comme disait Mandela : Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends. » Kéni Piperol apprend très vite. Et il devrait vite goûter à l’ivresse du succès.
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« Kéni a suivi la bonne voie en rejoignant une équipe professionnelle. Je suis fier d’avoir été l’un de ses formateurs. »
Luc Coquelin, mentor de Kéni Piperol (Skipper Route du Rhum de 1998 à 2018)
Un bateau 100% recyclable
Nouveau né du chantier Lalou Multi, le Class40 Captain Alternance s’affiche comme le premier voilier au monde 100% recyclable, grâce notamment à l’utilisation de la résine Elium, développée par Arkema depuis plus de cinq ans. Cette résine permet de fabriquer des composites thermoplastiques, une alternative aux composites thermodurcissables qui, eux, ne sont ni réutilisables, ni recyclables. « Nous avons aussi utilisé des mousses PET, également recyclables », indique Kéni Piperol. Pour faire simple, arrivé en fin de vie, le bateau pourra être fondu puis entièrement recyclé. « C’est à peu près ça ! », sourit le Guadeloupéen, très sensible aux questions environnementales. « Je me dirigeais, à la base, vers une carrière professionnelle dans la biologie marine, donc là, je suis en plein dedans. » |
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