Une bonne capacité d’adaptation, il en aura fallu de la part des enseignants, des élèves et de leurs parents afin de pouvoir, en peu de temps, mettre en place la continuité pédagogique à distance.

Sylvie Lerandy, professeure au sein d’un collège de Fort-de-France a partagé avec nous le journal de cette mise en place. Où l’on s’aperçoit de la nécessité de développer des outils adaptés, de la fracture numérique entre élèves, et surtout des efforts d’ajustement fournis par tous les acteurs. 

Jeudi 12 Mars 2020

“Alors que quelques jours avant avait été votée en AG la reprise des cours après une longue période de blocages et que nous nous préparions à retrouver nos élèves le lendemain, ne voilà-t-il pas que le ministre nous annonce qu’à compter de lundi, les écoles fermeront pour éviter la propagation du coronavirus.

On se pose, d’ores et déjà, la question de la continuité pédagogique avec nos élèves. Durant les blocages, certains avaient déjà tenté de mettre en œuvre des travaux à distance avec les élèves, mais cela n’avait pas été uniforme, ni eu une réelle ampleur.

Jeudi soir, nous savons donc que vendredi nous verrons nos élèves puis, plus rien ensuite, jusqu’à une date indéterminée.

Impossible d’anticiper et de leur préparer du travail à la maison, à moins de renoncer à une nuit de sommeil, et encore, nous n’aurions pas eu les photocopies d’effectuées avant 7h le lendemain (la norme dans notre collège est de déposer le travail à photocopier 48h à l’avance).

Qu’à cela ne tienne. J’ai une petite activité sur la géographie du tourisme qui était prévue pour quelques semaines plus tard et qui était déjà prête, je choisis de proposer cela à mes 4ème.

En revanche les élèves de 3ème, en plein dans un chapitre d’histoire sur la 4ème République, je vois difficilement comment les faire travailler en autonomie sur cette thématique à la maison.”

Illustration classe virtuelle

Vendredi 13 Mars 2020

“Retrouvailles après 6 semaines sans cours. On poursuit notre progression comme si nous ne nous étions jamais quittés.

Durant les blocages, j’avais fait un essai de continuité pédagogique en envoyant, via Pronote, du travail à mes élèves. Force est de constater que ce jour-là, très peu sont ceux qui l’ont effectué.  Mais la menace du virus est belle et bien présente et il faut leur expliquer qu’il est très probable que nous ne nous revoyons pas avant un petit moment.

L’après-midi même, réunion avec les collègues pour savoir comment organiser les semaines à venir. Il y a plusieurs sons de cloche entre ceux qui pensent déjà au confinement strict et ceux qui estiment que seuls les élèves seront confinés mais que nous, enseignants, devrons venir au collège.

« Je suis dans un établissement scolaire du réseau d’éducation prioritaire renforcé. Chez nous, les élèves vivent parfois dans des conditions extrêmement difficiles. Le collège, c’est ce lieu de décompression, ce lieu où on oublie les soucis de la maison. »

Alors les élèves y viennent de bon cœur. Certes, pas toujours pour apprendre, ils aiment voir les copains, se bagarrer, s’amuser…

Dans les familles, il n’y a pas toujours un ordinateur ou l’accès à internet. Dans de telles conditions, comment pratiquer la continuité pédagogique ?

La décision est prise avec l’équipe éducative de préparer un livret d’activités qui sera imprimé au collège le lundi pour être remis aux élèves le mardi.”

Semaine du 17 Mars, puis toutes les autres qui suivront…

“Lundi matin, les livrets sont imprimés au collège et préparés par lots nominatifs. La conception du livret a été quelque peu compliquée : combien d’activités ? Pour combien de temps ? Comment formuler le plus clairement possible, sachant qu’ils travailleront sans notre assistance ?

Le mardi, ils seront peu nombreux à venir récupérer leur livret. Afin de ne pas pénaliser ceux qui n’ont pas pu venir, les livrets sont aussi mis à disposition en version informatique sur Pronote.

“Dans le même temps, l’Éducation Nationale a mis en place avec le soutien du CNED, un site internet permettant aux élèves de poursuivre leur apprentissage.”

Il propose également un outil de classe virtuelle. Nous sommes invités dans le courant de la semaine à une formation à distance afin de maîtriser ce nouvel outil. Je découvre donc ce qu’est la classe virtuelle en étant moi-même connectée en visioconférence à une autre application où nous est donnée la formation.

Toutes ces nouvelles compétences doivent être acquises très vite afin de pouvoir les mettre en œuvre avec nos élèves.

On réalise des classes virtuelles entre nous enseignants, prenant tantôt le rôle d’élèves, tantôt le rôle d’enseignant pour que tous sachent comment ça marche. Et puis une fois la confiance acquise, il est temps de se lancer avec les élèves.”

Le début des sessions à distance

Les élèves de 3ème sont la priorité du fait du passage du brevet à la fin de l’année. Je souhaite organiser ma première classe virtuelle avec mes 3ème, mais comment les y convoquer ?

Pronote est notre moyen de communication privilégié, or, nombreux sont ceux qui ne s’y connectent pas souvent, voire jamais. Il faudrait passer par un biais qu’ils côtoient tous au quotidien. Le choix est vite fait : ce sera WhatsApp pour communiquer avec eux.

Donner son numéro de téléphone personnel aux élèves n’est pas à prendre à la légère. Ils pourraient être tentés d’en faire un usage autre que celui pour lequel il a été donné, mais en l’état actuel des choses, il difficilement envisageable de trouver une autre solution rapidement.

Je choisis donc quelques élèves référents dont je contacte les parents. Ils seront mes intermédiaires pour communiquer les informations à tous les autres.

Illustration école à distance et télétravail

Rendez-vous est pris pour notre première classe virtuelle. Je parcours toute ma maison pour savoir où me poser afin que mes élèves en voient le moins via ma webcam. Finalement, en arrière-plan, ils auront une bibliothèque foisonnante, de quoi peut-être les inspirer.

A l’heure dite, ça se connecte petit à petit. Les élèves doivent rentrer leur prénom en se connectant à la session. Je me vois obligée de demander à « Nono le rigolo » et « Fuck la bac » de quitter la session et de se reconnecter sous leur identité.

Finalement, au point culminant de la session, sur les 24 élèves que compte cette classe, 17 sont connectés. Le cours se déroule dans une très bonne ambiance, les élèves sont contents d’être là, ils participent, se charrient, posent des questions… Quelques problèmes de réseaux entraînent des déconnexions intempestives, mais de façon globale, ce fut plutôt une réussite.

Le rituel est adopté, nous nous verrons en classe virtuelle deux fois par semaine. Enseignant l’histoire et la géographie, je peux faire avec les élèves du cours magistral dialogué. La synthèse de la leçon est ensuite déposée sur Pronote et envoyée sur WhatsApp aux référents.

En revanche, pour ce qui est des activités, questions sur documents, rédaction, je leur demande de le faire d’une séance à l’autre et de me l’envoyer.

Si le succès de la classe virtuelle est bien réel, force est de constater qu’entre deux cours, ils ne sont que très peu à faire les travaux demandés. Je ne récupère qu’entre 3 et 5 travaux à chaque fois. Mais sont-ils pour autant à blâmer ?

“J’ai effectué un rapide sondage et ils sont près de 80% à participer aux classes virtuelles via un smartphone, sans avoir d’ordinateur à disposition.” 

Par ailleurs, pour une génération hyper connectée, ils ne sont que très peu initiés à l’informatique. C’est ainsi que j’ai eu une élève qui m’a candidement demandé « Madame, c’est quoi une pièce jointe ? », ou alors un autre qui m’a envoyé son travail en photographiant l’écran de son ordinateur.

En ce qui concerne les autres niveaux, il est extrêmement difficile de les motiver. Les travaux donnés sur le livret n’ont pas été rendus.

A l’instar de ce que je faisais durant les blocages, je leur ai proposé un lien vers un site scolaire très bien conçu qui propose à la fois des leçons mais aussi des exercices interactifs pour s’assurer qu’on a bien compris le chapitre. C’est le genre d’activité qui peut les intéresser si on le fait en classe et c’est également faisable depuis un smartphone.

Le souci, c’est que je ne suis pas en mesure d’avoir un suivi sur ce qui a été fait ou pas. Je continue donc à leur proposer ce genre d’activités et leur professeur principal tente de leur mettre en place un planning de travail pour qu’ils s’organisent depuis chez eux, mais il est extrêmement difficile d’assurer un suivi efficace.

“Les premières semaines de continuité pédagogique auront donc permis de développer des pratiques nouvelles, à la fois pour nous et pour nos élèves.”

Après les annonces du ministre concernant les examens et notamment le DNB qui aura finalement lieu en contrôle continu, on craint un peu la reprise. Sera-t-il encore possible de motiver nos élèves pour terminer le programme sans objectif terminal ?

Il est certain que le travail à distance n’est pas adapté à tous les élèves, notamment selon le contexte social dans lequel ils évoluent. Toutefois, dans les moments où cela fonctionne bien, il est vraiment agréable de passer du temps avec les élèves, voire de les découvrir sous un autre jour.

Bien évidemment, toute pratique ayant ses écueils, j’ai dû rappeler à l’ordre un de mes référents WhatsApp qui m’envoyait après 22h des liens Youtube pour le voir figurer dans un clip, mais ils ont 14 ans et on ne va pas leur en vouloir d’être des ados.


Cet article a été initialement publié dans l’e-magazine EWAG | Nos sociétés s’adaptent. Découvrez le magazine complet et son contenu interactif en cliquant ici.