Engagé, passionné, cultivé, il y a de nombreux adjectifs permettant de définir Pierre Reynaud. Président-fondateur du Comité Valentin Haüy de La Réunion et de l’Océan Indien, responsable de la Céci-Base du Conseil Départemental et kinésithérapeute de formation, il a également de multiples casquettes. Pierre Reynaud, c’est donc tout ça. C’est aussi un homme de 51 ans, aveugle depuis son enfance et papa d’un enfant de 8 ans.

Par Benjamin Postaire

Dresser le portrait de Pierre Reynaud n’est pas aisé. Pourquoi ?
Simplement parce qu’il parle peu de lui. Ou alors toujours pour partager ses expériences, ses combats et, n’ayons pas peur des mots : sa vision. « Mon rêve, c’est une société inclusive qui tend vers l’accessibilité universelle », explique celui qui se définit sans fausse modestie comme « un militant collectif ».
Dans ce domaine, son parcours parle pour lui. Président-fondateur du comité local et pour la zone Océan Indien de l’Association Valentin Haüy (AVH) et responsable de la Céci-Base du Conseil départemental à Saint-Pierre, il est surtout un homme de terrain multipliant les actions pour défendre les causes qui lui sont chères.   La principale, on l’a compris, c’est l’accessibilité. Et pour y parvenir, Pierre Reynaud compte sur un domaine qu’il connaît mieux que bien : le numérique. Dès le début des années 90, alors que les premiers ordinateurs entrent dans les ménages, il se passionne pour un univers qui va lui ouvrir des portes jusqu’alors inaccessibles. « Grâce à une voix de synthèse vocale, je pouvais me servir d’un ordinateur presque comme tout le monde, se souvient-il. Aujourd’hui, c’est une technologie très courante utilisée comme gadget pour certaines applications, moi ça a changé ma vie ». Pouvoir consulter son compte en banque « en toute intimité » mais aussi « lire un livre seul », des choses simples mais qui bouleversent son quotidien et lui donnent envie d’aller plus loin.

« L’iPhone, la plus grande invention de ces dernières années » 

« Ensuite, à la fin des années 90, il y a eu l’arrivée d’Internet. L’accès à toutes ces informations, la possibilité de lire des journaux, ça aussi a été une révolution pour moi », se souvient-il avec émotion. Enfin, dernière étape, « l’arrivée de l’iPhone, la plus grande invention de ces dernières années puisque nous avons désormais accès à tout : musique, radio, lecture, écriture et une multitude d’applications qui peuvent vous paraître accessoires mais pour moi sont très précieuses ».
Si on devait aller encore plus loin, l’iPhone représenterait le modèle de conception d’objet idéale pour Pierre : « Toutes les fonctionnalités sont déjà intégrées ce qui le rend, sur le plan technologique, accessible au plus grand nombre. En tant que personne aveugle, je n’ai rien à ajouter ou acheter en plus pour m’en servir comme n’importe qui. C’est un outil à la fois grand public et accessible. »  Seulement voilà, si lui baigne dans l’informatique et le numérique depuis toujours, il est bien conscient d’être un cas… isolé. Son combat, la mission qu’il s’est auto-confiée, c’est de faire en sorte que le potentiel de ces outils soit utilisé pour améliorer le quotidien des personnes aveugles ou malvoyantes et rompre ainsi l’isolement dont elles sont très largement victimes.

« Aussi paradoxal que cela puisse paraître, explique-t-il, la lecture est le loisir le plus adapté pour les personnes aveugles ou malvoyantes ». Or, si les moyens existent, ils restent insuffisants, seuls 5 % des livres sont accessibles à ce public. Même si, la médiathèque de l’AVH rassemble par exemple seulement 27.000 livres audio gratuits, encore faut-il initier « le plaisir de lire » si cher à notre hôte. Pour y parvenir, il ne ménage pas ses efforts. Via l’association, il organise des lectures publiques avec des écrivains comme Jean-François Samlong ou encore des campagnes de recrutement de donneurs de voix.

D’une « marche de l’accessibilité » à un concert de Davy Sicard  

Toujours avec l’AVH, il a parfois donné dans l’opération coup de poing avec deux faits d’armes mémorables.
D’abord dénoncer l’inaccessibilité, spécifiquement réunionnaise, à certains services proposés par des opérateurs telecom en métropole. Ou encore, les riverains de Saint-Denis s’en souviennent, en organisant une « marche de l’accessibilité » dans les rues du chef-lieu, « à mi-chemin entre l’exhibition et la manifestation », précise-t-il.   Dans un autre registre, plus poétique, il est aussi à l’origine du concert de Davy Sicard organisé dans le noir complet.
« Un magnifique projet collectif », se souvient Pierre, un large sourire dans la voix. Également un moment magique pour le public, bercé par le timbre de velours du chanteur et les parfums d’huiles essentielles gracieusement diffusés par la climatisation. Toujours dans cette idée de « passerelle des sens », a également été mise sur pied une exposition de photos La Passerelle des Sens. Des photos prises par des personnes aveugles ou malvoyantes avec la complicité du photographe Stéphane Grippon. Chaque cliché exposé était accompagné, pour décrire son univers, d’un témoignage sonore, d’un parfum unique et d’une boîte tactile.

« Voilà ce que j’aime dans la vie, assure Pierre, qui parle pour la première fois à la première personne. Partager des choses, des expériences, rencontrer tous les jours des gens différents et passionnants. On ne se refait pas et j’ai eu la chance d’avoir des parents militants avec un profond sens du collectif ». L’occasion était trop belle, il embraye : « Toutes ces actions, nous avons pu les mener car des gens se sont investis. Mais nous avons toujours des besoins humains, matériels et financiers. D’où l’intérêt d’être une association reconnue d’utilité publique », glisse-t-il avec malice. Avant d’ajouter : « Dans leur écrasante majorité, les Réunionnais aveugles et malvoyants souffrent d’un isolement inimaginable. La déficience visuelle et les spécificités de La Réunion s’additionnent pour créer une solitude que nous combattons tous les jours par nos actions au sein du Comité », continue-t-il.

« Les nouvelles technologies doivent permettre l’inclusion »

Actuellement, il mène un ambitieux projet avec l’opticien Chevillard. My Eye est une technologie innovante qui, intégrée aux lunettes, permet de reconnaître et de lire tout ce que le déficient visuel pointe avec son doigt. « C’est révolutionnaire, explique Pierre Reynaud. Et puis c’est vraiment un beau partenariat et une belle rencontre avec Chevillard. Un opticien qui travaille avec une association pour personnes aveugles ou malvoyantes, c’est très enrichissant». Utiliser la technologie pour améliorer le quotidien, toujours ce même fil conducteur. Car il a beau ne pas se cantonner, Pierre Reynaud revient vite à ses premiers amours : l’inclusion par le numérique. « L’évolution de la technologie engendre beaucoup de paradoxes, explique-t-il. Si je devais caricaturer, je dirais que le Smartphone, majoritairement conçu pour un jeune parisien nomade et connecté, serait beaucoup plus utile à un aveugle de Mafate». Volontairement provocateur, il n’en reste pas moins pragmatique : «L’accessibilité doit devenir la norme. Les nouvelles technologies sont une chance incroyable et doivent permettre l’inclusion, pas l’exclusion. »   Un enjeu sociétal qui dépasse d’ailleurs largement la simple condition des personnes aveugles ou malvoyantes. Fracture numérique, dématérialisation des démarches et données, inclusion numérique, accessibilité des seniors dans une société vieillissante, autant de sujets qui interpellent Pierre Reynaud et sur lesquels il a beaucoup d’idées et d’expertise. « Il faut que l’accessibilité soit un sujet vendeur, valorisé par les médias et les politiques, précise-t-il. Nous avons, avec la loi dite ‘handicap’ de 2005, le meilleur outil au monde pour permettre une société plus inclusive. Il y a juste un problème : elle n’est peu ou pas appliquée. »  On peut en tout cas compter sur lui pour que ce constat ne soit pas une fatalité. Mener des actions, militer et défendre des idées et des valeurs sont le fondement même de sa personnalité. « J’ai toujours été fasciné par la communication, utiliser les médias, faire passer des messages. Il y a deux métiers que j’aurais aimé faire, professeur d’histoire et journaliste ». Un début de confession. Avant que le naturel revienne au galop : « Mais il faut être collectif pour faire avancer les choses. J’ai découvert un proverbe qui me plaît beaucoup : ‘Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin’.»

Zoom sur l’Association Valentin Haüy

Acteur historique de l’aide aux personnes déficientes visuelles, l’Association Valentin Haüy, créée en 1889 par Maurice de La Sizeranne et reconnue d’utilité publique en 1891, déploie, depuis plus de 127 ans, un grand nombre de services et d’actions à travers toute la France afin de défendre les droits des déficients visuels, d’assurer leur formation et l’accès à l’emploi, de restaurer et développer leur autonomie, de promouvoir l’accès à l’écrit et de proposer des activités culturelles, sportives et de loisirs accessibles.

Le Comité de La Réunion et de l’Océan Indien a vocation à apporter, dans la région, l’ensemble de ces services, mis en œuvre par l’Association au service des personnes déficientes.