Dans quelques jours, nous connaîtrons le chiffre estimé de la croissance du Produit Intérieur Brut en Martinique en 2010. Elle se situera selon moi entre 2 et 3%, comme un rebond technique en écho à la forte récession  de 6,5% de l’année 2009. La consommation devrait y apparaître atone et l’investissement se redresser quelque peu par rapport au freinage massif constaté en 2010. Tout cela signifie qu’en réalité notre économie est désormais dans une trajectoire au mieux stable et probablement déclinante.

Comment en serait-il autrement du reste ?

L’économie Martiniquaise s’est développée au cours des vingt-cinq dernières années sur deux piliers aujourd’hui remis en cause : d’une part, une demande solvabilisée par l’accroissement de l’emploi public, les progrès des dispositifs de lutte contre l’exclusion comme le RMI (remplacé depuis par le RSTA)et la Couverture Maladie Universelle, et enfin par la politique de rattrapage économique et social qui a aligné le SMIC des DOM sur la métropole ; d’autre part, une offre financée par les dispositifs successifs de défiscalisation drainant depuis 25 ans l’impôt de nombreux contribuables vers le développement des DOM, tant au niveau immobilier qu’industriel, permettant ainsi de localiser des emplois qualifiés et à valeur ajoutée sur notre territoire.

On voit bien ici que notre développement économique ne s’est pas fait au global sur notre énergie,  ni notre créativité collective, même si de nombreux cas individuels d’entrepreneurs peuvent contredire cette affirmation générale. Notre territoire n’a pas saisi ces dernières vingt-cinq années comme une chance de devenir plus fort, mais plutôt comme une opportunité de bénéficier d’une assistance bienvenue.

Dans ce contexte, les partenaires sociaux se sont plus confrontés sur la façon de partager les fruits de cette assistance, que sur la façon de collaborer ensemble à préparer l’après.

L’après, c’est bien ce que nous vivons maintenant : le moment où la cigale française se tourne vers la cigale martiniquaise, plus encore dépourvue qu’elle-même pour souligner l’enjeu de plus en plus pressant du déficit budgétaire, et l’enjoindre d’assumer ses responsabilités de développement endogène. D’où l’on découvre que le tourisme négligé volontairement depuis trente ans est désormais l’une de nos rares planches de salut, et qu’il convient de travailler à localiser davantage de productions locales. C’est un premier pas. Après la prise de conscience, les discours commencent à changer et les contradictions à émerger.

Et en effet, la bise n’est pas encore venue sous nos cieux tropicaux mais elle viendra, et les cigales que nous avons été vont devoir se transformer en fourmis travailleuses et capables de coopérer ensemble à un projet de développement collectif. Nous avons donc encore un peu de temps pour nous préparer et agir positivement afin de surmonter les contradictions qui ont émergé.

Parmi ces nombreuses contradictions, j’en ferai ressortir trois :

• Tout d’abord, il y a celle d’avoir mis la question du pouvoir d’achat au cœur du débat public, alors que la question qui se pose prioritairement à nous n’est pas l’amélioration du pouvoir d’achat mais la restauration de l’attractivité et de la compétitivité de la Martinique pour retrouver une capacité à créer des emplois, en particulier pour les jeunes. Cette contradiction vaut aussi bien pour l’hexagone mais nous avons encore moins les moyens que lui de la cultiver.

• Ensuite,  il y a désormais une contradiction flagrante entre le modèle économique et social européen développé dans les DOM  par la puissance publique et l’injonction qui nous est faite de développer l’attractivité et la compétitivité de ces territoires dans les domaines du tourisme ou de la production locale, en feignant d’ignorer qu’une grande partie de la compétitivité d’un territoire est fixée par des choix publics dans le domaine du coût du travail ou du poids de la fiscalité. De ce point de vue, la LODEOM votée en 2008 allait dans le bon sens avec la création des Zones Franches Globales mais la montagne a accouché d’une souris : les économies consenties n’ont rien provoqué, et pour cause, l’exonération principale porte sur l’impôt société que peu d’acteurs ont l’occasion de payer faute de résultats…

• Enfin, il y a la contradiction à résoudre impérativement entre des syndicats qui affirment défendre les intérêts des salariés et se refusent à toute discussion pour examiner avec le patronat les voies et moyens de développer la compétitivité et l’attractivité de notre économie. Jean Crusol, Président de la Commission des Affaires Economique de la Région Martinique, a fait récemment sur la chaîne ATV, la proposition de relancer un forum d’échanges tripartites sur ces thèmes entre syndicats, patronat et pouvoirs publics, à l’image de l’Association pour le Dialogue Social en Martinique, qui avait réussi son pari au début des années 2000. C’est une bonne proposition qu’il convient de mettre en œuvre. Le Comité de Suivi du Port de Fort-de-France récemment instauré sous l’égide du Président de Région en est également un bon exemple.

En conclusion, le défi du développement de l’économie Martiniquaise exige une bien plus grande collaboration entre les partenaires sociaux, les collectivités territoriales et l’Etat. Ce défi peut être relevé mais il exige de mettre son objet au centre du débat et de l’action publique. De ce point de vue, la technique de l’assaut dans l’Armée Française est une bonne métaphore de ce que la réalité nous enjoint de faire pour remporter cette bataille : marcher d’un même pas en rafalant sur les mêmes objectifs.

Ces objectifs, nous pouvons les résumer ainsi : le tourisme, le logement social, les énergies nouvelles, la programmation et la réalisation rapide et stratégique des fonds européens, le développement de la production locale, l’innovation entrepreneuriale, la réalisation d’infrastructures d’avenirs.

Cyril Comte