Willy Bissainte, gardien des tradisyons pour sa 4ème Route du Rhum

Willy Bissainte nous a reçus dans le quartier populaire de Lauricisque, à Pointe-à-Pitre, un lieu chargé de souvenirs. (Photo Thibaut Desmarest)
Thibaut Desmarest

À la barre de Tradisyon Guadeloupe (Rhum Mono), Willy Bissainte rempile pour une quatrième traversée malgré la sévère déconvenue de 2018. À 52 ans, le skipper pointois affiche une belle résilience, dont il puise la force dans l’amour qu’il voue à son île. Texte et Photo Thibaut Desmarest

En rebaptisant son bateau du nom originel de son premier Rhum (2010), Willy Bissainte entend sans doute conjurer le mauvais sort, lui, le Guadeloupéen échoué après seulement quelques heures de course il y a quatre ans, sur les rochers de l’île Rouzic (Côtes-d’Armor). Mais plus qu’un symbole lié à une superstition, plus qu’un titre flanqué sur une coque, Tradisyon Guadeloupe incarne l’histoire d’un homme viscéralement dévoué à son archipel et défenseur de son héritage. Ce n’est donc pas un hasard si le skipper nous a donné rendez-vous au cœur du quartier populaire de Lauricisque pour évoquer sa quatrième participation. Un lieu chargé de souvenirs et empli d’émotions. « C’est là-bas, juste à côté de la bouée rouge, que j’ai débuté la voile, à l’école municipale de Pointe-à-Pitre », montre-t-il du doigt depuis le pas-de-porte d’une kaz traditionnelle surannée, à deux pas des marins-pêcheurs qui animent le petit port. « Tous les milieux s’y retrouvaient, c’était un endroit très convivial et accessible à chacun : 20 francs par mois pour les jeunes, je crois, 40 francs pour les adultes. »

Comme beaucoup de gamins du coin, Willy, 13 ans, débute à la barre d’un 420 (un dériveur double de 4,20 m), avant de s’essayer, un peu plus tard, au Laser en solitaire. « On faisait beaucoup de régates, mais à l’intérieur de la rade, avec les tours Gabarre et les hauts immeubles, le vent variait beaucoup. Il fallait être malin », se remémore l’ancien élève de Jean Eugénie, l’ex-directeur de la structure. Le vent, qu’il apprend à dompter sur l’eau depuis tout petit, a finalement raison de son terrain de jeu d’enfant. Parti mener ses études d’ingénieur en bâtiment dans l’Hexagone deux ans auparavant, c’est impuissant qu’il voit le cyclone Hugo frapper la Guadeloupe en 1989. L’école de voile ne s’en relèvera jamais.

Sur le même sujet | Willy Bissainte « Mèt a mannyoc »

Willy Bissante, amateur-passionné

De retour au péyi dix ans plus tard, diplôme en poche, Willy Bissainte découvre alors la voile traditionnelle qui honore de curieux canots surtoilés, fabriqués en bois local. Fidèle à son jardin de Lauricisque, le skipper s’emploie à gréer une embarcation prêtée par Monsieur Bourgarel, une figure locale, avant d’acquérir ses propres canots : Difé Kako (traduire par “On met le feu !”) et Mèt a Manioc (“l’homme de la situation”). Déjà en langue créole, celle dont il est si fier. « Avec mon ami, mon frère d’enfance, Robert Berdier, lui aussi patron de son canot à l’époque, on mettait à l’eau juste là, derrière moi. On s’entraînait tous les week-end pour préparer les régates à venir et le Tour de la Guadeloupe (TGVT). »

Sur les plans d’eau, Bissainte bataille alors face aux Gwo Modan Claude Thélier et Philippe Fiston qui s’engageront sur leur premier Rhum en 2002 et en 2006. « Je me disais qu’ils étaient fous ! Moi, je préférais les petits bateaux plus sensibles, qui bougeaient beaucoup, où on pouvait faire du rappel et du trapèze. Mais ça a commencé à mijoter dans ma tête. » L’appel du large et du solitaire le pousse finalement à s’inscrire au départ à Saint-Malo pour ses 40 ans, en novembre 2010. D’abord à la barre d’un Class40, puis dans la catégorie Rhum Mono à bord d’un Open 50 (15 m de long, 4,70 m de large), un plan Berret-Racoupeau, lors des deux éditions suivantes.

Mais en 2018, le “local de l’étape” se serait bien passé du coup de projecteur qui a éclairé sa première nuit de course. Un abandon inévitablement médiatisé qui a laissé de profondes cicatrices chez ce papa de deux enfants, peu enclin à ressasser le passé. « Je suis conscient d’avoir commis des erreurs stratégiques, dans ma préparation comme sur l’eau. Nous sommes une toute petite équipe et j’ai dépensé trop d’énergie à vouloir tout faire moi-même. Je suis arrivé très fatigué au départ et j’ai clairement manqué de lucidité. » S’il lui a fallu du temps pour évacuer le poids de la culpabilité et se projeter à nouveau, l’auteur de L’école de la patience (Ed. Afromundi, 2011) a choisi de se resservir un Rhum, avec la même monture et le même jeu de voile qu’il y a quatre ans, budget serré oblige. « Le bateau a tout de même passé plus de deux ans en chantier pour le réparer et l’optimiser. Mais aujourd’hui, j’ai quasiment tout ce que je souhaite en termes d’équipements. Je n’ai pas de foils, ce n’est pas une Formule 1, mais c’est une bonne mobylette ! »

Exilé à Lorient pour la dernière ligne droite de sa préparation, Willy Bissainte ne jouera pas dans la même cour que ses “compatriotes” Rodolphe Sepho (IMOCA) et Keni Piperol (Class40), qui a rejoint la prestigieuse team de Lalou Roucayrol à Port-Médoc (Gironde). « La catégorie Rhum Mono est plus adaptée aux gens comme moi. » Entendez par là, aux “amateurs passionnés”, prêts à voguer trois semaines au milieu de l’océan, loin de sa Guadeloupe chérie. « La nature, les sorties en rivière, mes petits concerts (il est batteur dans des groupes de jazz, NDLR) et la gastronomie de chez nous vont énormément me manquer. » Mais le Pointois pourra cette année encore compter sur le colombo de poulet préparé sous vide par sa famille pour se remonter le moral. Chez les Bissainte, on ne déroge pas à la tradysion.

Sur le même sujet | La Route du Rhum 2022, une édition déjà dans l’histoire

SON PROVERBE
Lanmè pa ni pyé bwa (1)

« Dans l’histoire de la mer aux Antilles, il y a toujours eu cette peur. Mais aujourd’hui, le Guadeloupéen se tourne de plus en plus vers les plans d’eau, que ce soit en bateau à voile, à moteur, en jet-ski, en kitesurf ou par d’autres activités. J’aime rappeler cette expression car, justement, elle évolue avec le temps, et c’est tant mieux. »
(1) En mer, il n’y a pas d’arbre pour s’accrocher.

Nos 7 skippers sur le “Rhum”

Depuis le mois de mai, dans Karumag, nos marins se sont livrés à travers des confidences et anecdotes savoureuses qui vous permettront de mieux les appréhender, avant de les retrouver le jour-J dans la cité corsaire.
Thibaut Vauchel-Camus (Ocean Fifty)
Damien Seguin (Imoca)
Rodolphe Sepho (Imoca)
Keni Piperol (Class40)
Sacha Daunar (Class40)
David Ducosson (Rhum Multi)