A Marie-Galante, la distillerie Bellevue affiche des résultats excellents tout en se plaçant à l’avant-garde d’une « écologie industrielle ». Où l’on comprend qu’économie et écologie peuvent faire très bon ménage…

En cette fin de campagne cannière, les champs de Marie-Galante, mis à nus, la font apparaître de loin… A ses abords, le ballet des charriots débordant de cannes fraîches rappelle la vocation de Bellevue : produire un rhum agricole d’excellence… De fait, Bellevue, quoique très discrète, accumule les premières places tout en se voulant référence en matière d’environnement. Comment cette distillerie, moribonde il y a dix ans, s’est-elle retrouvée à la pointe de la technologie industrielle, arborant un palmarès impressionnant ? Retour en arrière.

 

Si les années passées semblent loin, elles ressurgissent à la vue de l’ancienne distillerie. En 2001, la distillerie Bellevue vit des heures critiques. La famille Godefroy, propriétaire de l’usine et du domaine qui l’entoure – 140 hectares dont 62 plantés en cannes soit la plus importante plantation de Marie-Galante – cherche un repreneur pour cette unité en faillite, produisant le rhum Magalda. Sur le retour, Bellevue a pourtant un bel atout, son contingent de 1294 hectolitres d’alcool pur par an (HAP), le deuxième de Guadeloupe. Le groupe bordelais Bardinet-La Martiniquaise, premier producteur de rhum en Europe (qui détient aussi Depaz, Dillon, Old Nick, Saint-James et Négrita), manifeste son intérêt et s’engage, cartes sur table. L’investissement lui permettra de compléter ses besoins en rhum pour la métropole. « Pour relancer la production, l’unique alternative consistait à bâtir une nouvelle usine, ce qui ne s’était pas vu en Guadeloupe depuis un siècle ! », explique Hubert Damoiseau, directeur de la distillerie. Le montant du projet est à la mesure des résultats attendus : plus de 5 M € sont injectés par Bardinet dont 54 % financés par le trio du Docup (Etat-Région-Europe).

 

Un des volets d’investissement les plus importants est le dispositif de retraitement des déchets. Première distillerie « verte » des Antilles, Bellevue recycle l’ensemble de ses déchets. Les bassins de lagunage, installés pour traiter les vinasses, représentent à eux seuls 900 000 € d’investissement et 0,40 € par litre d’alcool pur de coût d’exploitation. Le système est long : après une oxygénation de plus de sept mois, les vinasses dépolluées retournent vers les champs de cannes. Les boues restantes sont elles valorisables en épandage agricole, tout comme les cendres et poussières de combustion de la chaudière, qui brûle la bagasse générée par le broyage. Aux côtés du matériel neuf, une antique machine à vapeur, jeune de 104 ans, actionne le tapis à cannes, faisant de Bellevue l’unique distillerie de Guadeloupe à fonctionner sur ce modèle. Dès sa deuxième année, les rendements sont supérieurs à toutes les distilleries des Antilles (plus de 60 litres d’alcool pur à la tonne). En volume, la production est en augmentation constante : en 2011, Bellevue produisait 850 000 litres de rhum, et le cru 2012 s’annonce sensiblement équivalent, ce qui en fait le troisième plus gros producteur et le premier exportateur de Guadeloupe. A Marie-Galante, Bellevue produit le double de ses confrères. La qualité n’est pas laissée pour compte, puisque le Domaine de Bellevue est, depuis 2003, le rhum blanc le plus médaillé au Salon de l’Agriculture. « Nous avons mis en place plus de 20 000 analyses qualité sur une campagne, et chaque atelier est contrôlé en permanence pour un réajustement ad hoc », précise Hubert Damoiseau.

 

Aujourd’hui, Bellevue est l’unique domaine écopositif au monde, c’est-à-dire que son bilan énergétique est positif. En effet, en complément du traitement des déchets, en 2010, 4 hectares ont été dédiés à l’installation de ce qui a été la plus grande ferme solaire de la Caraïbe, en partenariat avec la société Akuo. Près de 10 000 panneaux solaires produisent 3 GW par an, ce qui équivaut à 30 à 40 % de la consommation d’électricité de Marie-Galante, et à 2400 tonnes de CO² évitées annuellement. Aux pieds de ces panneaux, une trentaine d’espèces mellifères ont été plantées pour attirer et sédentariser les abeilles sauvages.

Un apiculteur de Marie-Galante, Jean-Marc Hégésippe, a installé ses ruches sur le domaine, ce qui lui permet de développer et de pérenniser son activité de miellerie. Mais pour Hubert Damoiseau, l’environnement, c’est aussi la sauvegarde du patrimoine bâti. Sur l’île aux cent moulins, celui de Bellevue, moulin à vent datant de 1821, est le seul qui, après sa restauration en 2006, tourne tous les jours, pour le plus grand plaisir des visiteurs. Bellevue prouve ainsi qu’outre les compétences humaines, un rhum agricole savoureux peut être le produit de la terre, du soleil et du vent.