Un soir de février 1981 Jacqueline Martino, une lycéenne de dix-huit ans, apparait sur la scène du Centre des Arts dans une sublime robe-poisson, aux écailles scintillantes, dessinée par le styliste Alex Mondélo. Ce soir-là, avec son décor « Le Monde du silence », la jeune fille offre au groupe Toumblak son premier titre de Reine du carnaval. Un autre suivra quelques mois après à Antigue. Jacqueline Martino se souvient… 

Propos recueillis par Willy Gassion

Vous avez failli ne pas vous présenter à l’élection de la Reine du carnaval… 

Jacqueline Martino : une semaine avant l’élection, je souffrais terriblement des dents, j’avais un abcès, ma bouche avait enflé. On pensait tous, au sein du groupe Toumblak, que ma participation à l’élection était compromise. Je suis allée chez le dentiste, et à force de soins, l’avant-veille de l’élection, l’abcès a disparu même si les douleurs persistaient.

Comment avez-vous réagi à l’annonce de votre sacre ? 

Je me souviens de mon sourire crispé et mécanique sur la scène à cause de mes douleurs dentaires. L’annonce de ma victoire a été une surprise, le groupe a explosé de joie. J’y suis allée avec la seule idée de m’amuser et de profiter de ce moment rare. Je n’étais convaincue ni de ma défaite ni de ma victoire. J’avais le soutien de Toumblak, j’étais portée par son énergie et j’ai fait de mon mieux. Tout le groupe a participé à cette victoire dès la création du décor. J’y ai moi-même pris ma part en participant aux différents ateliers de confection.

A quoi attribuez-vous votre victoire ?

Ce qui, selon moi, a fait la différence c’est que j’étais complètement autonome. A l’époque les filles étaient au centre du décor mais elles ne pouvaient pas bouger, c’étaient les autres membres du groupe qui poussaient le décor. Nous avons conçu un décor qui me permettait d’être totalement mobile et c’est moi qui le dirigeais comme bon me semblait, c’était inédit. Il y avait de la légèreté, de la transparence, du volume et de la lumière dans ce décor. Nous avons demandé aux techniciens du Centre des arts d’éteindre les projecteurs lors de notre passage, ce qui permettait à notre décor de s’illuminer. Avec « Le Monde du silence », Toumblak a permis au décor du carnaval de franchir un cap.

Quelques mois après votre élection en Guadeloupe vous participez, avec le même décor, à l’élection de la Reine du carnaval à Antigue… 

Représenter la Guadeloupe au carnaval d’Antigue, c’était une proposition du GDCF (Groupement pour le Développement du Carnaval et des Fêtes, ndlr). Nous avons restauré le décor, les commerçants de Pointe-à-Pitre nous ont prêté des vêtements pour notre rencontre avec les ministres d’Antigue. On a bénéficié d’un vrai soutien populaire. Le décor ne pouvant pas être démonté, c’est en bateau qu’il a quitté la Guadeloupe. L’élection se déroulait dans un stade, j’ai été, par tirage au sort, la première à me présenter sur scène. Je devais, comme toutes les candidates prononcer un petit discours, je l’ai fait en anglais, pour l’épreuve artistique, j’ai exécuté une chorégraphie de Gérard Félix sur « Enough is enough » une musique de Donna Summer. Tout se passait bien jusqu’à mon trou noir, j’ai complètement oublié les pas de danse. Ma formation en moderne jazz m’a permis d’improviser sans que cela ne soit vu. Le troisième passage, c’était la déambulation avec le décor.

Vous voilà sacrée pour la seconde fois Reine du carnaval… 

Cette fois-ci j’ai failli défaillir, j’avais du mal à réaliser que c’était moi la gagnante, que la Guadeloupe avait remporté le titre, c’était formidable. Je pleurais de joie, on m’a remis la cape, le sceptre et la couronne, elle ne tenait pas sur ma tête. Une partie du public est montée sur la scène, le groupe était euphorique.

Que représentent  pour vous ces deux titres ? 

Je suis fière d’avoir représenté la Guadeloupe, Toumblak a montré avec ces deux titres qu’une femme noire peut être belle, il faut se remettre dans le contexte de l’époque… Je me suis prouvée que j’étais capable de porter quelque chose de beau, de grand à l’échelle de la Guadeloupe et de la Caraïbe. Ces titres représentent la force d’une jeunesse responsable, capable de mener des projets à leurs termes, si on lui fait confiance.

Queen Jacqueline

An 18-year-old high school student steps on stage, dressed in a magnificent fishtail gown with sparkling scales. It is February 1981. That young woman, that gown designed by Alex Mondélo, and “The World of Silence” props would garner the group Toumblak its first title of Queen of Carnival. Another title would follow several months later in Antigua. Jacqueline Martino recollects.

You nearly didn’t make the competition for Queen of Carnival…

Jacqueline Martino: A week before the competition, I had a terrible toothache, an abscessed tooth, my mouth was swollen. All of us in Toumblak thought I wouldn’t be able to participate. I went to the dentist, and with treatment two days before the competition, the abscess had completely disappeared, even if the pain persisted.

How did you react when they announced your win?

I remember my tense and rigid smile on stage caused by my toothache. My win was a total surprise, the group erupted in cheers. I had gone with only the idea of having a good time and enjoying the moment. I wasn’t convinced I would lose or win. I had the support of Toumblak, I was carried by their energy and I did my best. The entire group contributed to the win by having worked on the props. I myself helped by participating in the many work sessions.

To what did you owe your victory?

I think what made the difference was that I was completely autonomous. At the time, the girls were placed in the middle of the props, but they couldn’t move; the other members of the group pushed the props. We designed props that allowed me to be completely mobile, and I was the one who directed it as I saw fit – that was completely new. There was a combination of airiness, translucence, volume and light in the props. We had asked the technicians at theater to turn off the spotlights for our turn, to heighten the effect of the illuminated props. With “The World of Silence,” Toumblak took carnival props to the next level.

Several months after winning the crown in Guadeloupe, you competed for the crown at Antigua’s carnival.

Representing Guadeloupe at the carnival of Antigua was a proposal by the GDCF, the association promoting carnival. We refurbished the props. Shopkeepers of Pointe-à-Pitre lent us clothes for the meeting with Antigua’s ministers. We enjoyed a lot of popular support. Since the props couldn’t be dismantled, it left Guadeloupe by boat. The competition took place in a stadium. I was, by drawing lots, the first to come onstage. Like all the other candidates, I had to give a short speech, which I did in English. For the artistic component, I executed choreography by Gérard Félix to Donna Summer’s “Enough is Enough.” Everything was going well until I blanked out about my dance steps. My training in modern jazz helped me to improvise without it being apparent. The third part was to walk around with the props.

And you were crowned a second time as Queen of Carnival.

That time I almost fainted. I couldn’t believe I was the winner, that Guadeloupe had won the title, it was incredible! I was crying tears of joy, they gave me the capelet, the scepter and the crown – it wouldn’t stay on top of my head. Part of the audience came on the stage, the group was euphoric.

What do these two titles represent for you?

I was proud to have represented Guadeloupe. With these two titles Toumblak showed that a black woman could also be beautiful. You have to consider the context at the time. I proved to myself that I was capable of pulling off such a great exploit, at the scale of Guadeloupe and the Caribbean. These titles are testament to the strength of responsible young people, who are entirely capable of achieving goals if given the chance.