Curatrice d’art de renom, la Guadeloupéenne Claire Tancons mène, depuis plusieurs mois, la direction artistique de Nuit Blanche. L’événement culturel, urbain et populaire, se tiendra le 1er juin à Paris. En quête perpétuelle de sens, elle porte un regard critique sur notre société.

Un rendez-vous au cœur de Paris pour une retransmission unique

Elle a choisi de nous donner rendez- vous au Théâtre de la Ville – Sarah- Bernhardt. Place du Châtelet, au cœur de la capitale, l’emblématique établissement fera partie de la quinzaine de lieux qui rythmera la prochaine Nuit Blanche.

Ici, au sein de son hall majestueux, digital et connecté, Claire Tancons souhaite organiser une retransmission inédite, en simultané depuis tous les territoires d’Outre-mer. « L’ambition de cette 23e édition est que les douze “pays ultramarins” puissent également organiser la leur. C’est une invitation que nous leur avons lancée. »

Une curatrice d’identité antillaise en quête de sens

À 46 ans, l’enfant des Abymes s’est vu confier la direction artistique de la manifestation, placée sous les couleurs de l’Outre-mer. « Nommer une Guadeloupéenne permet un positionnement plus fort qu’il ne l’a été sur les dernières éditions, qui ont pu pâtir d’un effet “Fête de la Musique”.

La réflexion première a été de dire : que signifie le “sujet” Outre-mer ? Car, soyons honnêtes, l’Outre-mer ne veut rien dire en dehors de la France. »

Une certaine ambivalence

De nouveau parisienne depuis deux ans, après une carrière internationale de curatrice, dont dix-huit années passées aux États-Unis, Claire porte désormais avec aisance et fierté son identité antillaise.

« Je suis arrivée en 1994 à Paris, le bac en poche, pour entamer des études secondaires. Après quatre années, j’avais ce sentiment diffus que la France allait me plomber. Je voulais prendre le large. » Elle intègre alors un prestigieux programme à New York, sans mesurer, dit-elle, où elle atterrissait.

Claire Tancons © Gaël Rapon
Claire Tancons © Gaël Rapon

Une nouvelle perspective pour Nuit Blanche

De l’autre côté de l’Atlantique, et au gré d’allers- retours dans la Caraïbe, notamment à Trinidad, la jeune Antillaise construit son « identité afro-diasporique assumée » et pose les fondements de sa pratique curatoriale.

« J’ai redécouvert le carnaval, à Trinidad, en 2004. En voyant des mas, des fouets, des robes en toile de jute, dont j’avais le souvenir dans mon enfance, j’ai appris mon histoire antillaise. » Un cheminement intellectuel à la faveur de l’art et au profit, aujourd’hui, de la génération émergente d’artistes caribéens qu’elle défend. Une prise de conscience tardive aussi, vingt ans après, qu’en France, la politique a la mainmise sur la culture.

C’est d’ailleurs le Guadeloupéen Jacques Martial, adjoint à la maire de Paris, chargé des Outre-mer, qui embarque sa compatriote dans l’aventure Nuit Blanche. « Il a compris que c’est un événement à la mesure de ce que je peux et sais faire », livre Claire, forte de son vécu sur les biennales internationales d’art contemporain. Franche, elle assume être, malgré tout, dans une posture paradoxale.

« Je suis pleinement à l’aise dans cet exercice mais il réside une dissonance entre le niveau auquel j’opérais depuis les États- Unis et celui auquel j’accède aujourd’hui. J’ai cette impression d’être une jeune première. »

Façonnée par ses expériences aux quatre coins du monde, celle qui se qualifie de franc-tireuse porte et apporte finalement un regard d’ « insider- outsider » là où elle passe. Ainsi, le 1er juin, de 19 heures à 7 heures le lendemain matin, Paris sera en communion avec les Français d’Outre- mer, grâce au « décentrement du sujet ». Un pied dedans, un pied dehors… Une ligne directrice personnelle appliquée, comme une évidence, à la manifestation parisienne.


Retrouvez cet article dans le hors-série Portraits Guadeloupe de mars 2024.