Aux Antilles, plus de trois femmes sur dix souffrent d’endométriose. Témoignage poignant d’Élodie Nestor, fondatrice de l’association Likid Chokola qui accompagne les femmes ultramarines sur le chemin de la guérison.

Un héritage de bienveillance et de puissance féminine

C’est Berthie, aka « Man Titi », qui révèle chez Élodie Nestor sa vocation d’infirmière. Elle en parle, les yeux au loin : les heures passées à écouter ses histoires dans sa maison à Sainte-Rose,

cette envie d’être à ses côtés pour rendre son quotidien plus doux. Patience et bienveillance. Et surtout l’amour, si beau, d’une petite-fille pour sa grand-mère. Lorsqu’elle décrit Man Titi, on a étrangement l’impression qu’elle dresse plutôt son autoportrait. « Un petit bout de femme énergique et engagée qui aimait voyager et s’impliquer pour les autres. Une véritable puissance féminine. »

Le combat silencieux contre l’endométriose

Ce voyage dans le passé l’amène à évoquer le début des souffrances, dès ses premiers cycles, arrivés trop tôt sur les bancs de l’école primaire.

« À l’époque, il n’y avait pas de mots pour mes maux. Ma maladie est restée longtemps sans nom. »

Une triste réalité qui concerne pourtant grand nombre de femmes antillaises. « La maladie est présente au-delà des chiffres officiels. Beaucoup de femmes continuent de vivre dans le déni. » Comme Élodie d’ailleurs, pendant quinze ans.

Quinze années à se tordre de douleur plusieurs jours par mois. À ne plus pouvoir marcher. Avec des envies de s’ouvrir le ventre pour arracher le mal. À se battre contre mille idées noires. « J’avais l’impression de mourir à chaque cycle.

Mon entourage m’accompagnait du mieux qu’il pouvait. Ma mère me concoctait des rimèd razié, ma sœur s’asseyait sur mon ventre pour écraser la douleur. » Au fil des années les symptômes dégénèrent. Élodie termine régulièrement aux urgences. Au travail, on la menace : « Si vous continuez à poser des arrêts, nous allons embaucher essentiellement des hommes. »

Puis un jour, c’est l’hémorragie. « C’est à ce moment-là que l’on m’a fait une IRM. Ma forme d’endométriose était si sévère que j’ai dû être opérée rapidement. Cette maladie, c’est comme un cancer, elle se propage partout. » Un témoignage glaçant, vécu par des milliers de femmes chaque année.

Résilience et sororité, la création de Likid Chokola

Alors âgée de 24 ans, elle ne se laisse pas abattre et se dirige vers l’éducation thérapeutique. Elle rencontre et questionne, utilisant ses connaissances médicales pour se créer elle-même un parcours de soins.

Après avoir réussi à guérir, son naturel revient au galop. Il est temps d’aider les autres. « J’avais cette envie de mettre en place des actions pour améliorer la vie des femmes. Je me suis longtemps interrogée : comment est-ce que je peux les accompagner à vivre avec leur maladie ? Comment sensibiliser le plus grand nombre et favoriser des prises en charge dès le plus jeune âge ? »

Pour l’infirmière, l’éducation thérapeutique est la clé.

« Quand tu comprends ce que tu vis, tu le vis mieux et c’est aussi plus simple d’en parler aux autres. »

Élodie Nestor © Jude Foulard
Élodie Nestor © Jude Foulard

Un programme unique pour accompagner les femmes ultramarines

Élodie développe alors un programme unique dans les Outre- mer, dédié spécialement aux femmes atteintes d’endométriose. Grâce à son association « Likid Chokola » (inspiré du jargon médical employé pour désigner la maladie), ce programme gratuit est porté par une équipe de professionnels de la santé, spécialisés sur le sujet.

Chaque facette de la maladie est abordée en ateliers collectifs : qu’est-ce que la maladie ? Quels sont les droits sociaux auxquels prétendre ? Comment adapter son alimentation ? « Les thématiques sont multiples et chaque femme décide du parcours qu’elle souhaite mettre en place avec nous. »

Aujourd’hui, elles sont plus d’une centaine à avoir été accompagnées par Élodie et son équipe bénévole. Un bel exemple de puissance féminine : entre résilience et sororité.


Retrouvez cet article dans le hors-série Portraits Guadeloupe de mars 2024.