À Paris, au cœur du 14e arrondissement, Agnès Cornélie nous a ouvert les portes de Calypso, une librairie où seuls les auteurs caribéens et ultramarins se côtoient. La Guadeloupéenne, avide de littérature, se confie sur les grandes étapes qui ont jalonné sa vie.

1984

D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Agnès Cornélie a toujours baigné dans la lecture. Chez les Cornélie, le livre est un objet « présent et habituel » qu’on offre pour toute circonstance. Née aux Abymes en 1984, de parents Mornaliens, la jeune fille grandit au péyi, suivant une scolarité sur le banc des école, collège et lycée pointois.

« Je rentre à Morne-à-l’Eau une fois par an, c’est là où j’ai mes attaches, synonyme de grand air. »

2002

Vient le temps du départ et de la classe prépa hypokhâgne khâgne au lycée Molière, à Paris. La jeune bachelière pose ses valises au Foyer des lycéennes où cohabitent six cents jeunes filles. « J’avais retrouvé trois amies de Baimbridge. On se soutenait mutuellement », raconte Agnès Cornélie.

La grisaille et le manque de soleil, auxquels elle avoue ne pas être encore habituée, contrebalancent avec la richesse de la vie culturelle. « J’ai suivi des études de lettres classiques à La Sorbonne pour être professeur. C’est en commençant à enseigner que j’ai découvert le métier de professeur documentaliste. J’ai eu envie de repasser un Capes. »

En poste au collège Karl-Marx de Villejuif, la future libraire se découvre une âme d’entrepreneuse. Créer un lieu, le gérer, l’organiser, voilà qui lui donne des idées. « Dans un CDI (Centre de Documentation et d’Information, ndlr), je me sentais à ma place mais j’avais déjà envie de faire autre chose. J’ai besoin de challenge et je rêvais de ce lieu où je pourrais avoir “mes” livres. »

Agnès Cornélie © Gaël Rapon
Agnès Cornélie © Gaël Rapon

2020

La suite de l’histoire s’écrit à partir d’un constat posé des années auparavant : pourquoi les auteurs caribéens, et plus largement ultramarins, ne sont-ils pas mieux représentés ? « On attribue toujours à l’Outre-mer cette image où “il fait beau, il fait chaud et on ne réfléchit pas beaucoup”. Jamais, on ne parle des auteurs alors qu’il y a parmi eux des Prix Nobel et des Goncourt, pour ne citer que Derek Walcott, Maryse Condé ou Patrick Chamoiseau. Ça avait le don de m’agacer. »

Deux ans après sa demande de disponibilité auprès de l’Éducation nationale et une formation à l’École de la librairie, Agnès Cornélie ouvre les portes de Calypso, le 28 août 2020, au cœur du 11e arrondissement. « Ça a été long et décourageant », se souvient-elle. En sortie de confinement, classée commerce essentiel, la librairie connaît un bel engouement.

Les Parisiens s’empressent dans le local de la rue Parmentier ou sur le trottoir lors des séances de dédicaces avec les auteurs. Nouveau temple de la littérature ultramarine et caribéenne, Calypso recense pas moins de 1 200 références, parmi lesquelles « le chef-d’œuvre de Gisèle Pineau, Caraïbes sur Seine ».

2023

Agnès Cornélie voit plus grand. Un nouveau local, à deux pas du cimetière du Montparnasse, lui fait de l’œil. « Quand je l’ai vu, mon cœur a vibré. » Ici, au 32 rue Gassendi, livres, œuvres d’art, jeux, affiches et objets posés ici et là — comme cette conque à lambi — rappellent les territoires éloignés de la capitale.

Passionnée, la quadragénaire pose toutefois un regard critique sur la suite qu’elle donnera à cette parenthèse littéraire. « C’est un vrai défi car les mois sont fluctuants. Je défends les auteurs et la culture ultramarine. Les clients apprécient les conseils mais il faut réussir à déclencher un achat. » Sans vraiment faire de plan, la prochaine date clé pourrait bien être celle du retour au pays, qu’elle « envisage toujours ».


Retrouvez cet article dans le hors-série Portraits Guadeloupe de mars 2024.