De son parcours semé d’embûches, elle a développé une certaine résilience. Installée depuis vingt ans aux États-Unis et dévouée, Gladys M. Francis, doyenne de la prestigieuse université d’Howard, à Washington, aspire à offrir aux minorités plus de justice sociale.

Elle nous concède en toute fin d’interview être timide. Gladys M. Francis se raconte pourtant avec une aisance déconcertante. Son propos est captivant, sincère, rythmé d’anecdotes qu’elle partage avec émotion, lui demandant parfois de marquer un temps d’arrêt, de reprendre son souffle ou d’essuyer une larme.

Ses souvenirs, douloureux pour certains — tels que la tentative d’homicide sur sa personne par le Ku Klux Klan —, l’ont forgée et la guident aujourd’hui dans son combat pour plus de justice sociale. « Je n’ai pas grandi dans le contexte de la différence. J’ai faim et soif d’équité », dit-elle.

Depuis quelques mois, à Howard (1), où elle est doyenne, elle dirige le Bureau des affaires académiques et administratives des étudiants. Une reconnaissance ô combien symbolique pour la quadragénaire au sein de l’université surnommée « la Harvard noire ».

« Pour la première fois, le groupe pense et va dans un sens qui est le mien. Howard veut créer un changement dans le monde qui peut vraiment servir la cause des communautés marginalisées. »

Une destinée américaine

Polyglotte, ancrée dans la culture caribéenne et désireuse de faire de la pédagogie, elle accepte, au milieu des années 1990, l’invitation lancée par un groupe d’Américains en visite sur le campus de Martinique où, étudiante, elle prépare un master FLE (2).

« Loin de moi l’idée que cette rencontre allait changer ma vie. Je partais pour un an à Purdue, faire de la recherche. Ça a été un choc d’arriver en Indiana, au milieu de nulle part. »

Trouver sa place

Pour la jeune Guadeloupéenne, l’Amérique qu’elle découvre au début des années 2000 est loin de l’image qu’elle s’était faite. Elle raconte avoir été en souffrance face à la violence du racisme, de s’être sentie invisible dans une société où les Noirs ne comptent pas, d’avoir préféré garder le silence. « Je n’étais pas à ma place et on me le faisait comprendre. J’avais 20 ans, je n’étais pas prête à ça. »

Elle n’a alors qu’une ambition : changer les règles et les lois. Pour s’assurer qu’aucune personne ne subisse les traumatismes qu’elle a vécus. Pour s’assurer, aussi, qu’il y ait toujours une place pour les minorités. « Depuis ce jour, je suis sur une lancée qui n’a jamais cessé. La justice sociale a pris tout son sens dans ma vie. J’ai appris à me battre et à créer des vagues de changements. »

Depuis plus de vingt ans, Gladys a ainsi marqué de son empreinte les différentes universités d’Indiana et de Géorgie qu’elle a fréquentées. C’est là qu’elle dit avoir défini son style d’enseignement (3) mais surtout qu’elle a construit, structuré et bousculé les codes « d’un système pourri ».

« J’ai compris la fragilité d’un individu noir aux États-Unis et cette fragilité est aussi la mienne. »

La terre natale pour se ressourcer

De son enfance passée sur les hauteurs de Petit- Havre, au Gosier, aux rues pointoises où elle a suivi une large partie de sa scolarité, Gladys se définit comme étant “du cru”. « Ma famille est très cosmopolite. Je suis une enfant de la mer et de la terre. »

Sa terre natale qu’elle rejoint autant de fois que possible pour s’évader lors de plongées dans les profondeurs de l’océan ou pour méditer, assise près du majestueux fromager dans les ruines de l’ancienne prison de Petit- Canal.

« Ce sont des moments de paix pour moi, pour me retrouver. C’est là que je me questionne sur l’impact de ma carrière et de mes travaux au- delà de mon temps sur Terre. Qu’est-ce qui reste quand on part ? C’est ça, pour moi, la définition du succès. »

(1) Howard University, à Washington.
(2) Français langue étrangère.
(3) Professeure spécialisée en études africaines, francophones, culturelles et théoriques.


Retrouvez cet article dans le hors-série Portraits Guadeloupe de mars 2024.