Les clichés hérités du patriarcat, Lavinia Ruscigni les déconstruit un à un. Rencontre avec la déléguée départementale bénévole et militante du Mouvement du Nid soutenue par la préfecture de Martinique.

Ici, on ne parle pas de prostitution mais de système prostitueur, offre, demande, victimes, clients. Ici, c’est le Trois Lieu, en plein cœur de Fort-de-France, rue Lamartine, un espace féministe et citoyen qui abrite le Mouvement du Nid, association reconnue d’utilité publique qui existe depuis plus de 80 ans partout en France et qui agit en soutien aux personnes prostituées. Lavinia Ruscigni est déléguée départementale de l’antenne Martinique créée en 2017, un an après la loi du 13 avril 2016 *qui fait de la France un pays abolitionniste.

Un profil de victimes

Elle interroge : « Est-on vraiment libre de se prostituer ? Cette notion de choix lorsque l’on est très pauvre, très précaire, fait-elle sens ? Pour y arriver, il existe un fil rouge de la violence et des psycho-traumatismes. La plupart des récits de vie commence avec l’inceste, des abus dès l’enfance qui touchent toutes les couches sociales et toutes les latitudes du monde. Statistiquement il y a des terrains, on ne le devient pas par hasard. S’il y a des profils de victimes, ce n’est pas le cas pour les clients, si ce n’est qu’ils sont à 85% des hommes. »

Un solide réseau de partenaires l’accompagne dont notamment la Préfecture de Martinique : « C’est d’abord une histoire de femmes, au début avec Claire Tessier, aujourd’hui, Sophie Chauveau, très sensible à nos thématiques, comme le sont Vanessa Catayée et Murièle Cidalise-Montaise, à nos côtés depuis toujours. Nous leur remontons nos difficultés et cheminons ensemble. »

Habitée par la cause

Cette jeune franco-italienne, militante féministe, altruiste, empathique, inspirée au quotidien par les femmes qu’elle rencontre, chapeaute une équipe composée d’une coordinatrice, une directrice administrative et financière, deux éducatrices spécialisées, une infirmière, deux psychologues, créolophone et hispanophone, ainsi qu’une gynécologue militante bénévole et deux médecins généralistes bénévoles.

Au rez-de-chaussée du Trois Lieu, un atelier de couture, une salle de cours de langue, un café solidaire, à l’entrée de l’étage des bureaux, on y lit en lettres capitales le mot clé « Sororité ».

La prostitution visible et invisible

L’antenne accompagne environ 120 femmes dont 80 de manière régulière (soins médicaux, démarches administratives et juridiques, insertion socio-professionnelle). Elle organise des rencontres hebdomadaires dans le quartier de Terres Sainville de Fort-de-France : « celles que l’on voit sur les trottoirs sont des immigrées de République Dominicaine, d’Haïti, du Vénézuela. Les Martiniquaises sont majoritairement sur le virtuel, Onlyfans, Mymfans, des groupes privés WhatsApp. Il y aussi les mineurs, le phénomène des « lover boys », le KPN (Koké Pou Ni), la banalisation de comportements prostitutionnels », décrit-elle.

En lançant une campagne de prévention et de sensibilisation contre la prostitution des jeunes en Martinique, Si Mwen Té Sav, la délégation a été doublement labellisée par ONU Femmes France et Génération Égalité 2023. Elle intervient dans les foyers de l’enfance, la Ruche, l’Espérance, les établissements scolaires ; travaille avec l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse).

Le Mouvement du Nid est aconfessionnel et apolitique. En multipliant les actions et les publications dont un rapport diagnostic sur le profil des femmes en situation de prostitution en Martinique, fort de nombreux témoignages, Lavinia Ruscigni livre un plaidoyer puissant sur ce que signifie un système qui organise la vente et l’usage du corps et de la sexualité d’autrui.

*La loi n°2016-444 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.


Retrouvez cet article dans le hors-série Portraits Martinique n°2, édition 2024.