Les Antilles vieillissent. Si certains préconisent des solutions globales aux conséquences macroéconomiques, les territoires ultramarins vont devoir broder des politiques publiques en dentelle fine pour assumer la réalité de la situation macroéconomique locale.

Texte Amandine Ascencio

Bilan démographique aux Antilles

Selon un vieux rapport du Sénat daté de 1999, le vieillissement interrogeait déjà la société française, en se penchant sur les évolutions de la population active par rapport aux inactifs, du marché du travail et surtout de la répartition des prestations sociales, et bien sûr, de la retraite. L’éternelle question se posait : comment financer un système de protection sociale, quand il y a plus de retraités et moins d’actifs ? Cette réflexion, portée par de tristes projections de déficit des systèmes de financement des retraites, a conduit, systématiquement, les réformes successives du chômage, des retraites, du travail, plus ou moins bien acceptées.

Années après années, les lois, les réformes n’ont toujours eu qu’un seul but : maintenir un niveau de croissance économique acceptable pour les entreprises, pourtant de plus en plus réticentes à financer le système de protection sociale.

Mais chez nous, les modèles ont des difficultés à tenir. La preuve, nous bénéficions régulièrement de dispositifs ou de dérogations spécifiques. Car, les Antilles françaises, connues pour faire désormais partie des départements les plus vieux de France, font exploser tous les modèles macroéconomiques, qui prennent mal en compte les “réalités de nos territoires”, selon la formule consacrée, que parfois, nous-même connaissons mal.

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Changement de pratiques dû au vieillissement de la population

Par exemple, un très fort sentiment de solidarité intergénérationnelle

existe aux Antilles, selon laquelle les jeunes gens, viennent aider les personnes âgées, dont ils reconnaissent l’apport et la sagesse, un peu comme un devoir envers ceux qui ont pris soin d’eux, plus jeunes. En principe, les relations d’assistances entre générations sont fortes, notent les observateurs en tous genres. Pourtant, les chiffres sont accablants, selon l’Ined, tout est en train de s’effilocher et les personnes âgées reçoivent moins d’aides qu’il y a dix ans. En Guadeloupe, 20 % des hommes et 23 % des femmes de 60 ans et plus reçoivent une aide de leurs proches, contre 27 % et 32 % en 2010, dans le domaine administratif par exemple. Il faudra donc trouver des solutions palliatives en matière de politiques publiques.

De même, les niveaux de vies de nos personnes âgées sont souvent bien différents de ceux de l’Hexagone, qui ont réussi à accumuler du capital et restent des consommateurs (même si de très grandes disparités existent). Globalement, chez nous, on est plus souvent confronté à des très bas revenus.

“La vieillesse reste un risque social dans la mesure où elle est associée à la pauvreté. Actuellement, les personnes âgées vivent avec de faibles revenus, soit parce qu’elles ont peu cotisé à des périodes où le droit du travail n’était pas bien établi en Martinique, soit parce qu’elles ont des revenus plus faibles que durant leur vie professionnelle. Je pense notamment aux fonctionnaires qui perdent la moitié de leur revenu en passant à la retraite”, explique la sociologue martiniquaise Nadia Chonville. Précarité économique, précarité familiale, moins bonne santé aussi, selon des nombreux rapports qui analysent la façon dont on vieillit dans les territoires d’Outre-mer, la situation pourrait être explosive.

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Prendre en charge le vieillissement

Lors des débats sur la réforme des retraites, les opposants au texte de loi s’inquiétaient de cette situation, bien décrite par la Caisse générale de la sécurité sociale de la Guadeloupe qui montrait les carrières hachées, “les trous dans les carrières” qui conduiront moins de 30 % des Guadeloupéens à partir à la retraite à taux plein. Et pour l’heure, la situation n’a pas trouvé de réponse ou de voie d’adaptation macroéconomique des politiques publiques ultramarines, engluées, malgré tous les efforts des acteurs du vieillissement, dans de nombreux dispositifs d’aides souvent opaques pour les demandeurs, qui renoncent à leur accès au droit.

Dans un rapport de 2021 de France Stratégies, sur les questions du vieillissement chez nous, le constat est dressé : en Guadeloupe, “La prise en charge des personnes âgées s’effectue à 75 % à domicile mais la qualité de cet accompagnement n’est pas satisfaisante ; or, en parallèle, les taux d’occupation restent faibles en établissement d’hébergement des personnes âgées dépendantes (Ehpad). Les solutions alternatives telles que l’accueil familial sont fortement sollicitées”, en raison notamment du coût des Ehpad, exorbitant, selon plusieurs observateurs. En Martinique, les rapporteurs recommandent aussi une structuration de l’offre des Ehpad pour une meilleure prise en charge.

Quant à voir les entrepreneurs mettre la main sur le potentiel représenté par la “Silver Economie”, tant vantée dans les années 2015, il leur restera, chez nous, à affronter les niveaux de vies disparates des familles antillaises, qui, restent, malgré ses défaillances, très attachées au service public et ses prises en charge par la collectivité.

Trouver les solutions aux conséquences macroéconomiques du vieillissement aux Antilles est un véritable défi. Nos îles vont devoir s’adapter à la cruelle réalité de la situation vis-à-vis de ses anciens : manque de ressources financières, manque d’accompagnement, isolement, absence de transports, d’habitat intégré pour eux.