Fervente défenseuse d’une cuisine des Outre-mer de qualité, Béatrice Fabignon s’est imposée, au gré de prestations sur-mesure, dans le monde très masculin de la gastronomie haut de gamme. Rencontre, à Paris, avec une cheffe à domicile jamais complètement rassasiée.

Vous dites avoir grandi ici, en Île-de-France, comme aux Antilles. Racontez-nous ce qui fait de vous une Guadeloupéenne…

J’ai effectivement grandi en Seine-et-Marne, d’une mère moulienne et d’un père mornalien. Nous sommes une très grande famille et nous avons toujours tissé des liens avec celle basée en France et avec l’autre en Guadeloupe puisque nous y allions tous les deux ans. Je dis avoir grandi comme aux Antilles, car nous passions tous nos dimanches en famille, autour de tablées de trente personnes, où l’on prend le temps de préparer à manger, où les conversations durent, où les parties de dominos s’enchaînent. Je suis Guadeloupéenne, je ne me pose pas la question, j’ai les codes et la culture. En revanche, je n’ai pas l’accent !

C’est cette tradition antillaise qui vous a donné le déclic pour la cuisine ?

J’aime effectivement cuisiner depuis que je suis petite, goûter, sentir… Je regardais beaucoup ma mère. On a vraiment un savoir-faire, nous les Antillais, pour la cuisine pure, sans suivre un livre de recettes. Tout se fait à l’œil. C’est ça, ma cuisine : valoriser et promouvoir toutes ces gastronomies ultramarines qui ont des influences communes. J’ai, bien sûr, une base et pour le reste je le dis sans gêne : j’ai cherché des informations, appris les traditions et les méthodes de cuisson.

Vous avez pourtant commencé votre carrière professionnelle dans un tout autre domaine…

J’étais partie pour faire de la vente dans le prêt- à-porter, après avoir suivi des études dans la filière commerciale. Vers 25 ans, j’ai tout arrêté, je sentais que je n’irais pas plus loin. Mon frère avait monté son entreprise dans le domaine de la musique et ce côté entrepreneuriat me tentait bien. Tout le monde me disait “ouvre un resto”… Après deux ans de réflexion, j’ai trouvé ce qui me motivait : travailler comme je l’entendais tout en promouvant la cuisine créole.

Béatrice Fabignon © Gael Rapon
Béatrice Fabignon © Gael Rapon

On est alors en 2009 et le métier de chef à domicile ne connaît pas le succès d’aujourd’hui. Vous êtes en quelque sorte une pionnière ?

Il est vrai que j’ai créé le statut de chef à domicile avec la Chambre des métiers et la CCI. Avant cela, j’avais suivi tout un processus d’accompagnement pour évaluer la viabilité économique de mon projet. Il fallait que je structure ce que j’avais pour habitude de faire pour mon entourage afin de me dégager un salaire. J’avais une telle rage que, quoi qu’il arrive, il n’était pas question que j’échoue.

« IL N’ÉTAIT PAS QUESTION QUE J’ÉCHOUE »

Vous êtes aussi à l’initiative du Trophy table art, le premier concours des arts de la table des Outre-mer et de la Caraïbe. Qu’est-ce qui vous a motivée ?

Passé le constat que, dans les territoires, il n’y a pas de concours qui mette en avant les arts de la table et la gastronomie, j’ai eu envie de valoriser les jeunes en formation et les professionnels et de faire un concours avec les codes et les critères du Meilleur Apprenti de France. J’ai embarqué dans cette aventure Stéphane Guenaud, argentier au Palais de l’Élysée, et Emmanuel Fourmis, ambassadeur de la Fondation Bocuse. La première édition s’est déroulée en Martinique, en 2018. Puis ont suivi ceux de Guyane, Guadeloupe, La Réunion et Tahiti. Sur chaque territoire, chaque jeune a été récompensé et la promesse est de faire une grande finale inter-îles à Paris.

Quel regard portez-vous sur votre reconversion ?

Je suis à ma place. J’ai construit ma clientèle, maintenant est venu le temps de penser au restaurant. La cuisine haut de gamme demande une telle implication… C’est un choix de vie que j’ai fait. Comme tout ce que j’entreprends, je vais aller au bout de mes idées.

Article paru dans le hors-série Portraits Guadeloupe, mars 2024