Entre location saisonnière et location longue durée, un déséquilibre semble se faire sentir, qui expliquerait la difficulté de se loger… Enquête sur le marché de l’immobilier.

Texte Yva Gelin

Depuis 2017 le nombre d’unités de location saisonnière serait passé de 3 500 à 9 000, d’après Madly Schenin-King, l’organisatrice du salon dédié à la location saisonnière, « Welcome à la maison », qui s’est tenu en octobre. En ligne, chez les leaders du marché, Airbnb propose plus de 1 000 logements, tandis que Booking dépasse les 2 000 offres. En comparaison, sur les sites de location longue durée en ce mois de novembre, les chiffres sont plus mesurés. Maisons ou appartement, DOMIMMO propose un total de 357 biens, Bien’Ici ne dépasse pas les 163 biens, tandis que Se Loger en propose 10 de moins. Sans atteindre la moitié de ce que proposent les sites de location saisonnière, Le bon coin semble être le site le plus fourni en annonces avec 342 appartements et 132 maisons pour un total de 474 biens. Si ces chiffres sont à lire avec précaution, la validité de toutes les annonces n’étant pas connues, les faits sont là : il y a davantage d’offres de location saisonnière qu’en location longue durée. La location saisonnière serait-elle donc en train d’étouffer l’offre de location longue durée ?

Objectif maximiser

Aujourd’hui, les investisseurs veulent maximiser leurs biens. C’est un constat que fait Axel Saint-Louis, gérant de l’agence Propriogagnant. « Un bien qui peut se louer 700 euros par mois peut par exemple se louer le double en saisonnier. Il est donc possible d’être plus rentable avec du saisonnier. Aujourd’hui d’ailleurs, même les agents immobiliers encouragent leurs clients à faire de la location saisonnière. » Pourtant, comme le rappelle Madly Schenin-King, la rentabilité n’est pas la première logique de la location saisonnière. « Pour beaucoup de personnes qui ont débuté il y a parfois plusieurs années, ça a commencé avec l’idée de générer un simple complément de revenu. Le principe était de dire qu’on aimait bien recevoir et qu’une somme symbolique était demandée en retour. Maintenant il y a de plus en plus de personnes qui se lancent avec un vrai montage financier derrière. » 

S’engager dans la location saisonnière permet aussi de minimiser les risques de loyers impayés, tout en ayant l’opportunité de profiter du bien lorsqu’il est vacant. « Quand on fait de la location à l’année, on ne peut pas retourner dans son logement quand on en a envie », explique Cyrielle Moussay, cofondatrice de l’agence de location saisonnière Villaveo. « Souvent, la location saisonnière c’est aussi un achat plaisir. Les propriétaires font cet achat pour pouvoir en profiter à côté et le mettre à disposition de la famille et des amis ». Le sud de la Martinique, pour ces plages de cartes postales, est historiquement connu pour concentrer l’offre de location saisonnière. Cependant comme le met en avant une partie des professionnels du milieu, le nord encourage également les investissements touristiques, en particulier dans le nord Caraïbe.

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Investir en saisonnier

La location saisonnière répond donc de plus en plus à une véritable logique d’investissement. Et dans les faits, les propriétaires n’ont pas tort, quand la saison touristique bat son plein de décembre à avril, les revenus sont effectivement plus intéressants qu’en longue durée. « En haute saison », explique Madly Schenin-King, « il y a toujours plus de demande que d’offres. Mais le reste de l’année, tout le monde n’est pas rempli au même niveau finalement. Et donc, forcément, il y a ceux pour qui ça fonctionne extrêmement bien, ceux qui sont dynamiques sur les prix, et puis il y a ceux qui malheureusement se laissent un peu porter ». Dans le secteur du saisonnier en Martinique, la nuitée peut varier de 45 à 1 000 euros.

« La gamme de prix est très large », poursuit Madly Schenin-King et certains, pour rester concurrentiels, cassent les prix ». Avec la tendance actuelle de faire du saisonnier une ressource à part entière, le véritable objectif est d’assurer une rentabilité annuelle. Ainsi, il faut s’assurer que l’opération reste intéressante après un lissage des revenus à l’année. Un calcul qui, comme le souligne Cyrielle Moussay, doit comprendre les frais. « Il y a des charges liées à chaque réservation. Il faut prendre en compte l’entrée et la sortie des lieux, le ménage, le linge… Il faut donc aussi être en capacité de pouvoir remplacer les assiettes et tout ce qui peut être abîmé. Sans compter que pour qu’un logement fonctionne bien, il faut le temps de créer une certaine notoriété auprès des clients. » Enfin, investir dans du saisonnier signifie également d’être soumis à des aléas qui ne sont pas toujours maîtrisables, tels que l’exemple de la dernière crise sanitaire ou plus récemment l’augmentation du prix des billets d’avion.

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“-40 % d’offres” en location longue-durée

Parallèlement, la location longue durée serait en souffrance. « Les prix ont explosé », affirme Caroline Sacrez, conseillère immobilière SAFTI. « En particulier pour les maisons. Une petite maison en location en dessous de 1 700 euros, c’est compliqué, quand il y en a. À côté de ça, on a aussi un problème de logements touristiques en Martinique. Il n’y en a pas assez. C’est pour ça que les Airbnb fonctionnent aussi bien ». Une tendance que confirme Axel Saint-Louis pour qui la pénurie de logements se fait particulièrement sentir pour les F3 pour lesquels il remarque une hausse des demandes mais une baisse des offres. « Globalement, pour notre agence, par rapport à l’année dernière, nous avons observé une baisse de moins 40 % sur l’offre des locations longue durée sur toute la Martinique. »

Aujourd’hui, le paysage de la location longue durée serait en pleine mutation. Les prix ayant augmenté, un type de population est maintenant privilégié pour éviter les impayés. « J’ai beaucoup de demandes soit de l’armée, soit de la part d’agences qui gèrent les expatriations », explique Caroline Sacrez. Les dernières maisons que j’ai louées étaient à 2 700 euros le mois et souvent ce sont des expatriations. Les entreprises prennent en charge 80 % du loyer et les locataires n’ont plus qu’à mettre le reliquat. Donc, malheureusement, ce sont souvent les gens de l’extérieur qui ont les biens ». Une autre réalité mise en avant par les professionnels du secteur est que pour compenser le manque de bien en location, « de plus en plus de biens insalubres arrivent à être loués et souvent les tarifs ne correspondent pas à la valeur réelle de ce qui est proposé », poursuit Caroline Sacrez. Pour Axel Saint-Louis, « souvent les personnes ne vont pas obtenir un bien qui correspondrait à leur premier choix », nuance-t-il.

En somme, le marché local se retrouve dans une conjoncture bien connue des grandes villes européennes et nord-américaines où coexistent deux tendances : la multiplication du saisonnier et une sorte de gentrification des loyers de longue durée. Face à quoi, à Montréal, un zonage municipal interdit les résidences touristiques louées à court terme dans le Vieux-Montréal. Et à Barcelone, depuis 2021, les particuliers ont interdiction de louer une chambre pour moins d’un mois… Deux exemples qui indiquent que le marché a parfois besoin d’un coup de main pour réconcilier cette double exigence, accueillir dans les meilleures conditions les touristes et les forces vives du pays. Car, sur cette question, si tout le monde ne gagne pas, tout le monde perd.