Opportunité ou inutilité ?

Les banques publiques de développement, telle que la banque européenne de développement, chargées de financer des infrastructures ou des projets structurants, d’aider à la mise en place de politiques publiques sont légion en Caraïbe. La France est au capital de nombreuses d’entre elles, sauf d’une : la banque caribéenne de développement, qu’elle a quitté il y a déjà près de 20 ans.

Texte Amandine Ascensio

L’histoire de la banque européenne de développement avec la Caraïbe

Le développement ne se décrète pas. Il passe par des investissements, privés, publics, du mécénat, bref il commence toujours avec de l’argent. Et ce, qu’il s’agisse d’une entreprise privée, ou que l’on parle du développement d’un État. Et dans ce cas de figure, c’est même parce que la puissance publique investit dans des infrastructures structurantes via une volonté politique, des incitations à financer, parfois des facilités fiscales. En 1945, à l’issue de la 2e Guerre mondiale, quand les accords de Bretton Woods viennent entériner la création de la Banque mondiale, c’est un des points de départ des investissements massifs accordés à de nombreux États pour leur développement. Le premier pays à en avoir bénéficié, c’est la France.

Plus tard, d’autres banques sont créées : la Banque européenne d’investissement, qui emprunte sur les marchés financiers pour financer des projets européens de développement. Il en existe de nombreuses autres, sur différents territoires, car en général, ces types d’établissements financiers agissent sur des aires géographiques spécifiques. C’est le cas de la Banque caribéenne de développement (BCD), une institution financière régionale fondée par une convention signée en 1969 à Kingston, en Jamaïque. « La banque a été créée aux fins de contribuer à la croissance et au développement économique harmonieux des États membres des Caraïbes et de promouvoir la coopération et l’intégration économique entre ces pays tout en portant une attention particulière et urgente aux besoins des États moins développés de la région », écrit le site internet de l’organisme financier en guise de présentation. Une banque construite sur un modèle de celles qui existaient déjà : banque mondiale, à l’époque dite « internationale pour la reconstruction et le développement », la banque interaméricaine de développement, ou d’autres encore. 

« Nous avons financé plus de 432 millions de dollars d’infrastructures à la Barbade depuis 1970 ; 100 millions d’assistance à Haïti entre 2017 et 2021 ; 30 millions de dollars pour l’éclairage public du Suriname et 50 millions pour la stabilité économique des îles Vierges britanniques », détaille la BCD. « Si la BCD intervient exclusivement dans la zone caribéenne au titre de ses financements, ses bailleurs de fonds appartiennent à plusieurs pays à travers le monde tels que la Chine, le Canada, le Brésil (pays caribéen continental). On notera l’absence des États-Unis et encore à ce jour de la France qui s’en est retirée en 2000 », explique Bernard Yvars, économiste ancien enseignant à l’Institut des études politiques de Bordeaux et membre de l’association francophone d’études caribéennes.

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Revenir au capital ?

Un retrait que d’aucun contestent aujourd’hui. « Cette banque de développement est le principal financeur de la Communauté des Caraïbes, la Caricom et l’Organisation des États de la Caraïbes orientale », rappelle Johnny Hajjar, député de la Martinique joint par téléphone.
« Je rappelle aussi que la Martinique et la Guadeloupe sont des membres associés à ces organismes : réintégrer cette banque pourrait renforcer notre intégration régionale, en tant que caribéens ». L’argumentaire, c’est la participation du pays aux financements d’infrastructures dans la région, l’accroissement d’une influence diplomatique, notamment à l’heure où la Chine et les États-Unis ou encore le Canada se disputent l’influence dans la zone, mais aussi et surtout une condition essentielle du désenclavement : « ça donnerait un accès à nos territoires antillo-guyanais à un marché de près de 40 millions de gens », souligne le député.

Fin 2022, sur les bancs de l’Assemblée, le député avait posé la question au ministre des Comptes publics de l’époque, Gabriel Attal, entre-temps devenu premier ministre. Ce dernier avait répondu en questionnant sur les « pays d’opération » et de destination des financements de la banque, souvent classés sur la liste noire des paradis fiscaux, mais aussi sur la façon de répartir les fonds français destinés à la Banque interaméricaine de développement, laquelle agit aussi dans l’espace caribéen. Une forme de refus du saupoudrage des financements, qui, en première instance, avait rappelé Gabriel Attal, « n’avaient pas assez permis l’insertion et l’intégration des DROM dans leur environnement régional ».

Et puis, une telle mesure coûterait pour le pays, selon les estimations, entre 30 et 90 millions d’euros. « La France a de grandes difficultés économiques actuelles avec un recul productif agricole et industriel significatif, une production trop importante de services de faible qualification ce qui conduit le pays à un appauvrissement relatif », analyse Bernard Yvars. « On peut donc penser que les priorités de la gouvernance actuelle pourraient se centrer davantage sur un Hexagone endetté et en situation de faible croissance économique, limitant ainsi le soutien financier public y compris dans les territoires distants, notamment caribéens. » Qui trouveraient donc un avantage indéniable à s’orienter vers les solutions de financements publics locaux ? À condition aussi, de trouver les financeurs privés, capables d’accrocher leurs investissements et entreprises à des projets structurants, pour enclencher un cercle vertueux.

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